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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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saignées épisodiques la troublaient et la dégoûtaient quelque peu. Elle s’imaginait salie par ce sang surgi d’elle, dont elle ignorait la cause. Se croyant atteinte de quelque affection maligne, elle s’était confiée à son père au moment de l’adolescence, mais il lui avait simplement répondu, d’un air gêné, qu’il n’y avait là rien d’exceptionnel. « Les femmes sont faites ainsi, lui avait-il dit en baissant les yeux. Tu t’y habitueras. » Puis il était retourné à ses hypothèques et à ses recherches dans le cadastre.
    Rozenn s’était donc habituée à ce qui semblait être une fatalité purement féminine, sans chercher à en élucider les mystères. L’interruption de ces désagréments lui fut toutd’abord une délivrance, mais lorsque, peu de temps après, elle fut sujette à des nausées matinales, d’étranges appétits et des pulsions irraisonnées, vomissant le lait bouilli ou larmoyant sans raison, elle se crut de nouveau malade et consulta son père qui, au lieu de la rassurer comme il l’avait fait la première fois, lui jeta un regard soucieux teinté de réprobation. À mots couverts, il l’interrogea sur la nature exacte de ses relations intimes avec son fiancé, lui demandant « s’il lui avait fait du mal ». Rozenn, en toute innocence, lui avoua les privautés qu’elle avait accordées à son promis, ce qui ne fit qu’assombrir la mine du notaire. Sans ajouter un mot, il avait endossé son manteau, coiffé son chapeau et s’en était allé au château de Ker-Gaël pour, disait-il, « régulariser la situation ».
    Depuis, Rozenn était venue s’installer dans une chambre située au dernier étage de l’ancienne bâtisse, avec interdiction d’outrepasser les limites du domaine. Personne, à part les domestiques, ne devait savoir qu’elle se trouvait ici. Maître Le Bihan avait prétexté une maladie des poumons nécessitant un séjour en sanatorium pour expliquer la disparition soudaine de sa fille. Nul ne tenta d’en savoir davantage. L’époque connaissait bien d’autres problèmes qu’une jeune fille évanouie dans la nature. Des gens, il en disparaissait chaque jour, sans raison. Souvent, on ne les revoyait pas. Alors, une de plus, une de moins…
    Rozenn avait vécu cette réclusion précipitée comme un châtiment. Sans le vouloir, elle avait dû faire quelque chose de mal, de terrible même, pour qu’on la tienne ainsi à l’écart du monde. Son père, depuis qu’elle habitait Ker-Gaël, n’était jamais venu la voir et le baron Hubert de Montfort affectait de ne pas remarquer sa présence lorsqu’elle assistait aux repas familiaux, ou bien l’observait à la dérobée avec une drôle d’expression. Philippe, surtout, la battait froid etne lui prodiguait plus ni baisers ni caresses. Que lui avait-elle fait pour mériter cette désaffection ? En quoi lui avait-elle causé préjudice ? Elle l’ignorait et s’en désolait secrètement. Philippe ne l’aimait-il plus ? Pourtant, leurs fiançailles n’avaient pas été rompues et leur mariage prévu à une date ultérieure. L’isolement de Rozenn aurait donc une fin ?
    La seule à se préoccuper réellement du sort de la jeune fille était Françoise de Montfort, la mère de Philippe. Rozenn avait trouvé auprès d’elle cette tendresse maternelle qui lui avait fait défaut depuis le décès prématuré de sa mère. Mais dans cette maison tenue par des hommes, Françoise faisait pâle figure. Effacée, elle ne sortait pas davantage de Ker-Gaël que ne le faisait Rozenn. Elle vivotait, chenue et ridée avant l’âge, entre travaux de couture et tapisserie, les yeux aussi délavés que son teint. Mais elle avait pour la recluse de ces petites attentions qui réchauffent le cœur et aident à passer le temps : elle l’invitait à boire des tisanes sucrées au miel en sa compagnie, le soir elle l’aidait à démêler ses longs cheveux blonds et à les coiffer en chignon, elle lui tenait des conversations qui s’apparentaient davantage à des soliloques durant lesquels la baronne évoquait les fastes d’avant-guerre. Parfois, elle posait sa main sur son ventre, comme Rozenn le faisait elle-même lorsqu’elle était seule dans sa chambre, et lui disait : « Tu portes la vie en toi, Rozenn. C’est très précieux. Cela tient du miracle. »
    Elle n’en disait jamais plus et Rozenn s’interrogeait sur le sens de ces paroles qui semblaient recéler de vertigineux mystères.

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