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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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fait que la défunte était toujours la première à se railler du charbonnier. Ce dernier, après avoir pris congé de Gwenn, aurait pu rattraper la cruelle lavandière et prendre sa vengeance. Cette version était tout aussi cohérente que la précédente.
    Le brigadier-chef avait deux suspects. Un aristocrate et un charbonnier. Le prince et le pauvre, comme avait dit Le Floc’h.
    Bouchard se retourna vers le chemin qui conduisait au village. La nouvelle de la mort de la jeune Annaïg Le Borgne avait déjà fait le tour de Concoret. Des grappes de gens se tenaient là, épiant les moindres faits et gestes, se poussant pour mieux distinguer le corps inanimé de la défunte, que les gendarmes avaient recouvert d’un drap sec. Les villageois ne tarderaient pas à élaborer les mêmes théories que lui. Grâce au colportage des lavandières, ils n’ignoraient pas qu’Annaïg se moquait ouvertement de Loïc qui ne pouvait que s’en sentir blessé. Et il pouvait leur venir l’idée de devancer l’action des forces de l’ordre en cherchant à se faire eux-mêmes justice.
    Il fallait appréhender d’urgence Loïc Le Masle.

26
    Le père Jean guidait Dahud par les rues du village, la tenant par le bras. Il avait réussi à la calmer et à la convaincre de l’accompagner jusqu’au lavoir où les gendarmes l’attendaient. La lavandière s’était laissé entraîner sans réagir, comme si la transe hallucinatoire qui l’avait envahie un instant plus tôt lui avait ôté toutes ses forces. Tous deux vêtus de noir, le premier dans sa soutane, la seconde dans ses habits de deuil, le prêtre et la vieille femme formaient un couple d’ombres échappées à la nuit, courbées sous le ressac de la pluie qui les fouettait au visage. Ils semblaient accomplir un chemin de croix.
    Sur leur passage, les gens détournaient la tête ou se signaient discrètement. Pour eux, le religieux et la mère dont l’enfant était décédée incarnaient à eux deux la mort elle-même. Ils la respectaient et la craignaient tout à la fois. Mais ils préféraient demeurer à distance. La camarde, lorsqu’elle vous frôlait, vous entraînait dans sa danse macabre et vous emportait dans son monde obscur sans espoir de retour.
    Cela n’empêchait pas les villageois de parler entre eux.
    Au matin, lorsqu’on avait appris la noyade d’Annaïg, leur première réaction avait été la stupeur. Qu’une jeune fille se suicide de cette manière-là, en pleine nuit et en habits du dimanche, cela avait quelque chose d’irréel. Puis, lorsqu’on avait su que la jeune fille n’avait pas mis elle-même fin àses jours, la stupeur s’était transformée en peur. Un assassin à Concoret, on n’avait jamais connu ça.
    On s’était alors mis à jaser, à soupçonner l’un, à accuser l’autre, sans preuve aucune, en se fondant uniquement sur des ressentiments et des inimitiés. Mais la liste des suspects s’était vite rétrécie, pour aboutir à un seul nom : Loïc Le Masle. Le charbonnier. Le bossu. L’étranger. Ne l’avait-on pas surpris à fricoter avec les Boches et à traîner du côté du lavoir ? C’était lui qui avait fait le coup, c’était sûr. On n’avait pas besoin de l’enquête des gendarmes pour l’inculper. La peur s’était alors muée en colère et en haine collective.
    Les commentaires s’interrompaient sur le passage du père Jean et de Dahud, pour reprendre de plus belle lorsqu’ils s’étaient éloignés. Le désir de vengeance qu’éprouvaient les habitants du village était moins lié à la pitié qu’aurait pu susciter Maëlle Le Borgne, qu’ils avaient toujours tenue à l’écart, qu’à la volonté de se débarrasser une fois pour toutes du bossu. Certains allaient plus loin dans leurs affabulations, affirmant que le charbonnier avait cherché à séduire Annaïg puis, devant son refus, avait tenté de la forcer. D’autres laissaient entendre que ce n’était pas la première fois que l’homme des bois s’en prenait à d’innocentes jouvencelles. Il avait des appétits brutaux, à l’exemple de sa face mal lavée et de son corps contrefait. D’autres encore, emportés par leur imagination, noircissaient un peu plus le personnage en assurant qu’on l’avait vu, en pleine forêt, se livrer à des rituels de magie noire. Il faisait au diable l’offrande des fumées de ses fouées . La façon singulière dont il avait ôté la vie à la jeune Annaïg témoignait bien de ces accointances

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