Les Lavandières de Brocéliande
accident.
– Quoi ? s’écria le baron en se levant brusquement de son siège. Qu’est-ce que tu racontes ? Annaïg serait…
– Morte, oui ! répliqua la femme en noir en se retournant tout d’une pièce vers son interlocuteur. Et c’est quelqu’un qui l’a tuée. Et ce quelqu’un habite ici, entre ces murs…
Hubert demeura un instant la bouche ouverte. Son visage, si pâle tout à l’heure, était devenu rouge, comme si ses vaisseaux sanguins allaient éclater.
– Annaïg… Morte ? Noyée ? Assassinée ? Mais comment ? Et qui ?
– Pose la question à ton fils, rétorqua la lavandière d’un ton menaçant.
– Philippe ? Mais… Qu’est-ce qu’il a à voir avec ça ? Explique-toi, Maëlle…
– Je dis, poursuivit Dahud de son ton imperturbable, que ton fils fréquentait Annaïg depuis un certain temps. Elle me l’a avoué hier soir. Il la fréquentait même de très près, si tu vois ce que je veux dire…
– Mais… C’est impossible ! Annaïg est… enfin, était… sa…
– Sa demi-sœur ? Et comment pouvait-il s’en douter ? Tu m’as payée pour que je garde le secret, mais ce secret s’est retourné contre toi, Hubert, parce que ton fils et ta fille se sont…
– Non ! l’interrompit le baron, refusant d’imaginer la nature des relations qui avaient pu se nouer entre ces deux êtres issus de son sang, l’un légitime, l’autre marqué du sceau infamant de la bâtardise.
– Ton fils a séduit ta propre fille ! insista Dahud en haussant la voix. Et il lui a laissé en gage un germe dans leventre. Et lorsqu’elle le lui a appris, au lieu d’assumer ses responsabilités, il lui a…
Dahud laissa sa phrase en suspens, glissant un index squelettique le long de sa carotide, tout en arborant un sourire abominable.
Hubert s’approcha d’elle en boitillant, accablé par les révélations terribles que lui assenait cette femme avec une sorte de plaisir morbide.
– Tu délires, se défendit encore le baron en lui soufflant son haleine au visage. Tu as inventé toute cette histoire pour me faire souffrir. Tu as perdu tout sens des convenances, ma pauvre Maëlle. Tu oses venir jusque sous mon toit pour me tenir des propos insensés… Des histoires de fou, sans queue ni tête… Tu es bonne à enfermer…
– Ce n’est pas moi qu’on va enfermer, c’est le meurtrier d’Annaïg ! grinça-t-elle d’un air mauvais. Attends donc la visite des gendarmes ! Tu verras comment ils vont te le cuisiner, ton Philippe…
– Non ! Je ne veux pas y croire ! s’emporta Hubert en prenant Dahud au collet, comme s’il avait l’intention de l’étrangler.
– Il est trop tard ! hurla Dahud en se débattant. Tout va se savoir, à c’t’heure. Tout ! Le crime de Philippe, qui a tué sa propre sœur cette nuit, au lavoir, après l’avoir engrossée. Ton crime à toi, qui a refusé de reconnaître ta fille et qui a acheté mon silence durant toutes ces années. Finie, la réputation des Montfort. La honte tombera sur toi et les tiens, comme le malheur est tombé sur moi. C’est la malédiction de la fée de Barenton qui nous poursuit ! Nous avons été maudits, et nos enfants le sont aussi. Ta fille est morte, Hubert. Et ton fils y passera bientôt, lorsqu’on lui mettra le cou sous la guillotine. Tout se saura. Tout ! Et c’est moi qui le dirai. Je dirai tout. Oui, tout !
– Non ! s’écria Hubert en lui serrant le cou. Tu ne diras rien.
Maëlle continuait à le narguer avec son rire fou. Soudain, il la repoussa et recula d’un pas :
– Qu’as-tu dit aux gendarmes ? As-tu parlé ?
La lavandière avait conservé son sourire sardonique et fixait le baron de ses yeux noirs.
– Pas encore. Mais ce n’est pas toi qui vas m’en empêcher, Hubert. Tu n’as plus les moyens de me faire taire.
– Attends ! insista le baron. Je ne sais pas ce qui est vrai dans toutes les horreurs que tu viens de déverser, mais je te demande une chose, Maëlle. Laisse-moi régler ça. Si Philippe a commis quoi que ce soit de répréhensible, il devra m’en rendre compte. Ne déballe pas notre linge sale en public. Nous n’avons rien à y gagner, ni toi ni moi. La mort incompréhensible de cette pauvre Annaïg, s’il est vrai qu’elle est morte, est déjà suffisamment douloureuse sans y ajouter le déshonneur d’une famille. Promets-moi de ne rien dire, Maëlle. Promets-le…
La lavandière jubilait. Cet homme qu’elle avait tour à tour
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