Les Lavandières de Brocéliande
enrouée, elle se mit à balbutier :
– Les lavandières… Ce sont les lavandières qui l’ont noyée dans le doué … Les lavandières de la nuit…
Le prêtre fronça les sourcils. La pauvre femme était-elle en train de perdre la raison ? Après tout, cela n’aurait rien d’étonnant. Il savait qu’elle pratiquait parfois des guérisons sauvages, en usant de potions et de philtres que méconnaissait la médecine classique, qu’elle s’adonnait à des rites païens que réprouvait l’Église et qu’elle se montait facilement la têteavec des superstitions et des histoires de bonnes femmes. Sous ses dehors de femme forte et hautaine, Maëlle Le Borgne cachait une fragilité qui pouvait à tout moment la faire basculer dans des comportements irrationnels. Incapable de se confronter à une réalité inacceptable, elle se réfugiait dans des croyances d’un autre âge.
– De quelles lavandières parles-tu, Maëlle ? Celles des légendes que l’on évoque à la veillée pour effrayer les enfants ? Tu sais bien que cela n’existe pas !
Dahud se mit à trembler davantage, tandis que ses paupières battaient devant ses yeux fixes comme des papillons de nuit affolés par la lumière.
– Les lavandières de la nuit… Les lavandières de sang… Elles hantent le doué les nuits sans lune. Hier, c’était la veille de Samain. Elles ont pris ma fille. Elles l’ont obligée à faire la noce avec les lutins de nuit et Satan goz . Quand elle a été bien fatiguée de danser leurs caroles du diable, elles l’ont noyée dans l’eau du doué .
Dahud n’était plus elle-même. Elle se trouvait dans une sorte de transe médiumnique et s’exprimait d’une voix monocorde et détimbrée. On eût dit qu’à travers elle, c’était la voix d’un esprit qui parlait. Une voix venue d’outre-tombe.
– Maëlle ! s’effraya le recteur en l’attrapant par les épaules pour la secouer. Reviens à toi ! Tout cela n’a aucun sens. Je t’en conjure, dis-moi ce qui est arrivé à Annaïg. Cela restera entre nous, je t’en fais la promesse devant Dieu. Je ne dirai rien aux gendarmes, ni à personne d’autre… Mais je dois savoir. Pour le salut de l’âme de ta fille. Et peut-être pour le salut de la tienne…
– La lavandière de sang ! se mit brusquement à hurler Dahud. C’est elle, je la vois. C’est elle qui a tué ma fille. C’est elle qui va nous tuer tous !
Le père Jean se signa par trois fois.
La pauvre vieille était tombée folle. Ou bien elle était possédée.
Possédée par ses propres démons.
25
– Vous êtes formel ? interrogea le brigadier-chef Bouchard.
– Formel et affirmatif, répondit le légiste en refermant sa mallette de cuir. Je n’ai trouvé aucune trace d’eau dans les poumons. Cette jeune fille n’est pas morte noyée. Elle a été déposée dans le lavoir post mortem .
– Elle ne s’est donc pas suicidée ?
– Impossible. Si j’en juge d’après la rigidité cadavérique et le temps probable d’immersion, je dirais qu’elle était morte depuis au moins deux heures quand elle a été plongée dans l’eau.
– Donc, il s’agit d’un meurtre, conclut le gendarme.
– Je ne serais pas aussi péremptoire. En fait, vu les moyens matériels dont je dispose, il m’est impossible de déterminer la cause exacte de la mort. Je n’ai en tout cas décelé ni contusions ni blessures. Il peut aussi bien s’agir d’un arrêt cardiaque, d’une asphyxie que d’un empoisonnement.
Le légiste enfila soigneusement ses gants.
– Pour en être sûr, il faudrait demander des analyses complémentaires en laboratoire, pratiquer une autopsie. Tout cela est assez complexe à mettre en place. Sans parler des autorisations légales et de la paperasse. Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre. La mort a très bien pu être naturelle ou accidentelle. Mais la noyade, non. Ce n’estqu’après son décès que quelqu’un de bien vivant est venu déposer la petite ici.
– Mais dans quel but ? interrogea Bouchard, perplexe.
Le médecin écarta largement les bras en signe d’impuissance.
– Ça, c’est à vous de le découvrir. Maquiller la mort en suicide, par exemple. Le suicide n’est-il pas la première hypothèse que vous avez évoquée avant mon examen ? Mais il peut y avoir d’autres motivations qui nous sont pour l’instant inconnues.
– Si on l’a immergée deux heures après le décès, la victime n’est donc pas
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