Les Lavandières de Brocéliande
lui avait pas encore donné la raison de leur venue. Le Masle devait savoir.
– Annaïg Le Borgne a été trouvée ce matin dans le lavoir. Morte. Assassinée. Nous cherchons le coupable. S’il vous revient quoi que ce soit à l’esprit, n’hésitez pas à nous le faire savoir, Le Masle. Cela peut nous aider à arrêter lemeurtrier et vous éviter, par votre silence, d’être le complice d’un crime.
Loïc écoutait, bouche bée. Annaïg ? Morte ? Assassinée ? Cette révélation dépassait son entendement. Le gendarme reprit :
– Je vous conseille d’être prudent si vous vous rendez à Concoret. Je ne sais pas pourquoi, mais beaucoup de gens sont remontés contre vous. S’ils en venaient aux mains, nous risquerions de ne pouvoir assurer votre sécurité. Aussi, je pense qu’il serait mieux que vous vous teniez à l’écart de cette histoire, le temps que nous mettions la main sur le criminel.
Une dernière fois, il demanda :
– Êtes-vous sûr de ne rien vous rappeler d’important au sujet de cette nuit, Le Masle ?
Loïc releva les yeux et regarda le gendarme bien en face :
– Je vous ai dit tout ce que je pouvais vous dire…
29
– Raconte-moi tout, Philippe.
Hubert et Philippe de Montfort étaient assis dans le petit salon où le feu continuait de brûler. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’ils se trouvaient ainsi seul à seul. Ils en ressentaient chacun de la gêne. Leurs relations avaient toujours été distantes, et le baron comptait généralement sur Françoise pour jouer les intermédiaires, rôle qu’elle assumait d’ailleurs parfaitement. Philippe était d’un naturel ombrageux et rebelle et ne supportait pas qu’on lui tienne tête. Surtout pas son père, à qui il déniait toute autorité à son égard. Seule sa mère, plus douce et tempérée, avait su conserver sa confiance et parvenait encore à susciter ses confidences.
La vérité, c’est que Hubert craignait son fils. Il reconnaissait en lui certains aspects de son propre caractère qu’il avait toujours évité de regarder en face et cette confrontation permanente avec un miroir de lui-même le mettait mal à l’aise. Philippe agissait sur lui comme un révélateur photographique, une chambre noire où se profilaient, tels des spectres redoutés, les visages grimaçants de ses passions refrénées et de ses pulsions les mieux enfouies.
En apparence, tout semblait pourtant distinguer Philippe de son père. Le premier arborait l’élégance et l’allure qui avaient toujours fait défaut au second. Il avait le parler francet incisif, ce qui lui conférait une aura de candeur et d’innocence à laquelle la plupart des gens se laissaient prendre. Seul Hubert savait qu’il s’agissait là d’une illusion. Le cœur de son fils, tout comme le sien, recélait des ombres amères et des sentiments empoisonnés qui n’attendaient que l’occasion de se manifester.
Hubert était pour l’instant incapable de démêler le vrai du faux dans les accusations sordides qu’était venue répandre Dahud. Il savait la vieille lavandière dérangée et n’aurait pas été surpris d’apprendre qu’elle avait manigancé toute cette histoire dans l’unique but de le détruire, lui et sa famille. Sans doute voulait-elle lui faire payer leur rendez-vous de la veille, au cours duquel elle s’était épanchée comme jamais jusque-là elle ne s’était autorisée à le faire. Mais si son fils était coupable ne serait-ce que d’une partie des crimes dont elle avait fait étalage, alors l’opprobre et le déshonneur s’abattraient bientôt sur la famille Montfort. Car c’était bien la famille entière qui était concernée, et non le seul Philippe. Si le garçon avait séduit Annaïg en ignorant qu’elle était sa demi-sœur, s’il l’avait engrossée avant de se débarrasser d’elle, en la poussant au suicide ou en lui ôtant la vie, comme le prétendait Dahud, les crimes actuels du fils ne feraient que mettre en lumière les crimes passés du père. Certes, Hubert n’avait pas tué Maëlle, mais il l’avait bel et bien violée avant d’acheter son silence afin qu’elle conserve le secret sur la naissance d’Annaïg. D’une génération à l’autre, c’était la même souillure qui se transmettait, comme une tache indélébile. Les mêmes fautes, causées par les mêmes passions, les mêmes pulsions.
Car le père et le fils avaient les mêmes pulsions. Aveuglé par elles, Hubert
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