Les Lavandières de Brocéliande
craint et méprisé était désormais prêt à tout pour sauver sa peau et celle des siens. Il était aux abois. Il fallait en profiter.
– Admettons que je me taise, qu’est-ce que j’ai à y gagner ?
Le baron hésita.
– Ma protection, répondit-il enfin. Je veillerai à ce qu’il ne t’arrive rien et que personne ne cherche à te faire du mal. Et je saurai aussi… être généreux, et compenser à sa juste mesure la perte de ton enfant…
– De NOTRE enfant, corrigea Dahud d’un air vainqueur. Eh bien, je te laisse régler ça en famille, puisque tu y tiens tant. Je ne dirai rien sur Philippe et… ses écarts deconduite. Pas pour l’instant, en tout cas. Je veux d’abord voir comment tu vas te débrouiller avec tout ça. Ça m’intéresse… À présent, je vais m’en r’tourner au village, des fois que les gendarmes en auraient encore après moi. Et puis, il faudrait pas qu’ils sachent qu’on s’est vus tous les deux c’matin, pas vrai ?
28
Les gendarmes n’eurent aucun mal à appréhender Loïc. Il se terrait dans la forêt, dans sa loge de branchages, mais ne se cachait pas. Pourtant, quand il vit approcher les forces de l’ordre, le charbonnier éprouva une peur soudaine et faillit se sauver. Il n’avait rien à se reprocher, mais sa vie solitaire dans les bois avait développé en lui des comportements d’animal traqué. Il savait qu’il n’avait rien de bon à attendre de ses contemporains. S’il était recherché, c’est sans doute qu’il avait été dénoncé par les villageois à la suite de l’incident hier, lorsqu’il avait été pris à partie après le passage des Allemands. Le fait qu’il ait été la victime innocente de la méchanceté des autres ne le préservait pas, bien au contraire, des représailles et des règlements de comptes.
Le brigadier-chef Bouchard s’approcha calmement du charbonnier dont les yeux fuyants annonçaient un début de panique. Il tenait les paumes de ses mains ouvertes, en signe d’apaisement. Il avait tout de suite ressenti la fragilité du charbonnier, et cherchait à le mettre en confiance.
– Loïc Le Masle ? Nous avons quelques questions à vous poser…
Le bossu ne bougeait pas, fasciné par les uniformes. Il se sentait pris au piège. Il ressentit de nouveau le besoin impérieux de prendre ses jambes à son cou. À grand-peine, il parvint tout de même à se maîtriser.
– Vous êtes bien Loïc Le Masle ? insista Bouchard.
Loïc hocha la tête en guise d’assentiment, tout en lorgnant du côté des deux autres gendarmes qui inspectaient les lieux.
– Vous étiez bien près du lavoir, cette nuit ? continua Bouchard, sans quitter le bossu des yeux, attentifs à la moindre de ses réactions.
Le charbonnier cligna plusieurs fois des paupières. D’un second hochement de tête, il acquiesça. Il demeurait méfiant mais n’avait pas assez de malice pour mentir. Pourquoi mentir, d’ailleurs ? Il n’avait rien fait de mal…
– Que faisiez-vous au lavoir en pleine nuit ? reprit le brigadier-chef. Il est assez loin de votre… cabane. Vous aviez un rendez-vous là-bas ? Vous deviez y rencontrer quelqu’un ?
Loïc ne comprenait plus rien. En quoi le fait qu’il se soit trouvé au lavoir pouvait-il bien avoir la moindre importance aux yeux de la gendarmerie ? Décidé pourtant à répondre le plus franchement possible aux étranges questions du représentant de l’ordre, il secoua négativement la tête.
– Vous n’êtes guère bavard, fit remarquer Bouchard. Vous savez parler, tout de même ? Vous comprenez mes questions, monsieur Le Masle ?
Le fait de s’entendre donner du « monsieur » acheva de semer le trouble dans le cerveau du bossu, qui consentit enfin à ouvrir la bouche.
– Euh… Oui, je comprends. Enfin, non, je ne comprends pas pourquoi… vous me posez ces questions…
Le brigadier-chef prit le temps de sonder le regard du pauvre garçon. Il paraissait sincèrement surpris par la présence des gendarmes et par leurs interrogations. Soit il était innocent, soit il savait jouer la comédie à la perfection. Bouchard décida de ne pas lui révéler aussitôt l’objet de leurmission afin de guetter un geste ou une parole qui pût trahir le jeune homme.
– Je ne vous demande pas de comprendre, je vous demande de répondre… Vous étiez donc au lavoir cette nuit. Y avez-vous rencontré quelqu’un ?
L’esprit de Loïc commençait à s’embrumer.
– Oui, répondit
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