Les Lavandières de Brocéliande
équestre pour rejoindre ta maîtresse au lavoir ?
Le jeune homme commençait à perdre ses moyens. Ses tremblements s’accentuaient et de grosses gouttes de sueur coulaient sur son front.
– Je… Je ne l’ai pas tuée…
– Mais tu l’as vue cette nuit, n’est-ce pas ? martela Hubert avec un regain d’autorité.
– À peine…, balbutia Philippe d’une voix blanche. Nous avons échangé quelques mots, puis je suis parti…
Hubert fourrageait dans sa barbe, dévisageant son fils avec une acuité soutenue.
– C’est là qu’elle t’a annoncé qu’elle attendait un enfant de toi, c’est bien ça ?
Philippe déglutit mais aucun son ne sortit de sa bouche.
– C’est bon, j’ai compris, reprit aussitôt Hubert en donnant un coup de canne sur le sol qui fit sursauter son chien. À présent, écoute-moi bien. Si les gendarmes viennent, nous leur dirons que tu n’as pas bougé d’ici hier soir. Après tout, ils n’ont aucune preuve contre toi. Et je pense qu’il est grand temps de faire sortir Rozenn de la clandestinité.
– Rozenn ? s’étonna Philippe.
– Oui, Rozenn, ta fiancée ! Il faut que les gendarmes lavoient près de toi, comme une future épouse aimante et fidèle. Elle dira que tu es restée auprès d’elle toute la soirée, confirmant ce que ta mère et moi expliquerons aux gendarmes.
– Mais… Je suis allé là-bas. Si quelqu’un m’a vu…
– Personne ne t’a vu, Philippe. Si quelqu’un prétendait le contraire, ce serait sa parole contre la nôtre, les Montfort, la plus ancienne famille de Brocéliande. Qui oserait remettre en question notre témoignage ?
Philippe ne répondit pas. Il était blanc comme un linge et commençait à ressentir les premiers effets de l’un de ses malaises.
– À présent, il est temps que tu prennes la potion de cette vieille sorcière de Dahud, pendant que je ferai la leçon à Françoise et Rozenn, conclut Hubert en se levant de son fauteuil. Il faut que tu sois en forme lorsque les gendarmes t’interrogeront. Et n’oublie pas que ce soir, nous avons un invité de marque qui pourrait nous être très utile si les choses venaient à s’envenimer.
Soudain, le regard d’Hubert changea. D’une voix adoucie, il murmura, comme s’il se parlait à lui-même :
– On dit que le major est amateur de jeunes et jolies femmes. Je suis certain que Rozenn lui plaira…
30
– Donnez-vous la peine d’entrer, commandant. Vous êtes ici chez vous ! s’exclama le baron de Montfort d’un ton chaleureux. Je vous présente ma famille, qui se fait une joie d’accueillir un hôte de marque tel que vous : Françoise, mon épouse, Philippe, mon fils, et Rozenn, sa fiancée…
Le major Alfred Ernst claqua les talons de ses bottes noires soigneusement cirées et fit le salut militaire préconisé par le régime de Berlin, bras tendu à quelques degrés au-dessus de l’horizontale. Puis il ôta sa casquette arborant l’aigle impériale, insigne de la Luftwaffe, la glissa sous sa manche gauche et s’inclina afin de faire un baisemain à la baronne, puis à Rozenn. Lorsqu’il releva la tête, son regard s’attarda sur cette dernière. Ses lèvres s’étirèrent en un mince sourire qui eut pour effet de faire naître une rougeur sur les joues de la jeune fille et une crispation dans les mâchoires de son fiancé.
– Je vous félicite pour la beauté de votre château… et celle de ses occupantes, monsieur le baron, susurra le major dans un français parfait, à peine teinté d’inflexions germaniques.
Le commandant du camp d’aviation du Point-Clos n’était pas un officier comme les autres. Il se distinguait de la soldatesque vêtue d’habits noirs ou vert-de-gris qui avait envahi la région en s’affichant en permanence dans unimpeccable uniforme blanc, rehaussé par des épaulettes et des galons qui attestaient de son grade. Lorsqu’il était de sortie comme ce soir, il conduisait lui-même une somptueuse Matford décapotable blanche qui complétait à merveille sa panoplie de parfait dandy.
Replet, assez gras de visage, le cheveu rare, l’homme approchait de la cinquantaine. Ses traits étaient plutôt grossiers et sa silhouette trapue manquait de finesse, pourtant il se dégageait de sa personne une prestance toute militaire et une sorte de charme indéfinissable, fait d’un mélange d’élégance et de confiance en soi. Son regard était perçant, presque pénétrant. Un regard d’oiseau de proie,
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