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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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la fais !… Et dis-toi que jusqu’au jour où nous sommes, les rois régnant sur l’Angleterre ont été du sang de France autant que ton souverain, et cela moins parce qu’ils descendaient de Guillaume le Conquérant que de par leurs mariages… Tiens, Mathilde, la petite-fille du Conquérant, a épousé le comte d’Anjou, Geoffroy IV… Leur fils, Henry II, né au Mans, un de nos rois, a épousé la reine Aliénor d’Aquitaine, qu’il avait connue à Paris et que Louis VII avait répudiée… Elle est devenue reine d’Angleterre… Si ça t’ennuie que l’Aquitaine soit anglaise, dis-toi que c’était la dot d’Aliénor ! Tant pis pour Louis VII et sa postérité !
    — Un jour, nous reconquerrons ce duché !
    — J’en doute !… Sais-tu combien d’années Henry II a vécu en ton pays tout en gouvernant l’Angleterre ?
    — Je m’en moque.
    — Vingt-deux ans… Oui, vingt-deux ans sans poser le pied sur le sol anglais… Richard Cœur-de-Lion, lui aussi, fut élevé en France où il a passé le plus long de sa vie… Il paraît qu’il n’a jamais franchi la Manche… Il est mort à quelques lieues d’ici, devant Châlus.
    — Qu’il assiégeait, messire.
    — Soit !… Henry III aussi a vécu sur ces terres… Le premier à ne pas épouser une fille de France, c’est Édouard I er , mais son fils, lui, a pris pour femme Isabelle, la fille de votre roi de Fer, Philippe IV, qui peut-être était bel, sauf son âme !
    — Isabelle s’est conduite en horrible putain !
    — Sans doute… Elle tenait ses mauvais penchants de son père… Notre roi actuel, son fils, a épousé Philippa de Hainaut… Une étrangère, penseras-tu sans doute ?
    — Non. Je sais qu’elle est la petite-fille de Charles de Valois, l’arrière-petite-fille du feu roi de France, Philippe le Hardi.
    — Quand je te dis que cette guerre est un sanglant litige entre parents ?… Les Plantagenêts, que je sers, sont des Capétiens pur sang !… Ils ne régnent pas sur les mêmes territoires, mais leurs tombes ne sont nullement à Westmouster… C’est en Anjou, en Poitou que tu les découvriras. Quant au langage, nous parlons votre langue d’oïl davantage que le saxon. D’ailleurs, la plupart de nos actes et de nos ouvrages sont rédigés en français.
    — Messire, vous avez raison, sans doute ; il n’empêche que vous devriez rester chez vous !
    Ogier soupira. Il n’avait jamais envisagé sous cet angle la rivalité entre Édouard et Philippe.
    — Étiez-vous à l’Écluse, voici cinq ans ?
    — Non… Mais quelle défaite !… Quand je te dis que nous sommes les plus forts !… Et je ne puis rien ajouter car je te donnerais la chair de poule !
    Ogier décida de rompre l’entretien : il commençait à s’indigner.
    — N’espère pas que nous serons chassés, damoiseau, dit lentement la voix moqueuse. Nous sommes ici pour l’éternité… Seul un miracle pourrait vous délivrer de nous… Or, les miracles, c’est un peu comme les unicornes : on en parle souvent mais on n’en voit jamais ailleurs que sur les tapisseries.
     
    *
     
    La nuit en était sans doute à son plus noir, et le routier somnolait quand Ogier, attentif, perçut de légers grincements, puis un choc métallique. Les chiens jappèrent. Un guetteur cria :
    — Maudites bêtes ! Allez-vous…
    Sa colère et sa voix s’évanouirent.
    Des cliquetis, des bribes de paroles et des jurons étouffés traversèrent le silence dans lequel les chiens donnaient maintenant de la gueule.
    — Ce sont mes boys  ! Le castle est à nous !
    Des hurlements de joie et de terreur se mêlèrent. Il y eut des bruits de portes ouvertes, enfoncées, des clapotements de pas dans les flaques, des heurts et des crépitations d’armes.
    Ogier rampa et colla son oreille contre l’ais visqueux et clouté.
    La clameur gagnait en force, puis se dispersait au gré du combat et du vent. Des plaintes d’hommes fendus ou transpercés avant même d’avoir pu se défendre, des glapissements de vieilles femmes, des cris d’enfants horrifiés, firent frémir le damoiseau.
    — Sans cœur et sans pitié à ce que je devine.
    — La guerre est ainsi, Argouges.
    — Ah ! non… non ! Pas les femmes et les enfants !
    Des supplications précédaient des gargouillements affreux. Des courses. Encore, en tous sens. Et des assauts, des poursuites qu’Ogier suffoquant d’indignation et d’impuissance ne pouvait interpréter, mais

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