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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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dérision.
    — C’est vrai, messires ! approuva Blanquefort. «  Plutôt que de combattre à outrance, vous avez quitté le Christophe et sauté à la mer !  » m’a reproché Michel de Fontenay. Et Amaury de Lôme a conclu : «  Vous voulez faire passer pour des appertises [101] des actes de couardise dont vous devriez rougir !  » Voilà ! Et j’ajoute, moi – et vous le savez tous –, que cette dégradation est contraire aux usages… Je ne suis pas chevalier, mais vous, messires, qui l’êtes presque tous, comment pouvez-vous tolérer ce qui se commet sous vos yeux ?
    — Assez, Hugues ! dit Guillaume. Tu vois bien que tu les indisposes… Ils ne sont pas pour Lôme et Fontenay, mais ils rechignent à leur faire de la peine.
    Ogier fut insensible aux protestations qui s’élevaient soudain dans les rangs des seigneurs. Il regardait les deux juges. En les voyant s’installer sur leur banc, il avait compris que ces hommes noirs, maigres, aux visages cireux, émaciés, étaient des ascètes du mal, des pervertis de la Justice : il n’en fallait attendre aucune pitié.
    Les yeux brûlants de larmes, la gorge obstruée de cris et de sanglots qu’il maîtrisait à grand-peine, le jouvenceau considéra son père à calefourchies sur le tronc infamant. Sa faiblesse était telle que les sergents l’y maintenaient malaisément. Parfois l’un d’eux le lâchait un peu afin qu’il vacillât.
    Voyant que cette épreuve ne suscitait aucun rire, pas même parmi la piétaille qui se rechignait, contrairement à son attente, Blainville l’interrompit.
    — Assez chevauché, dit-il. Descendez cet homme.
    Sans ménagements, les sergents obéirent.
    — Portez-le là !
    Soutenant leur prise aux aisselles, et tandis que ses pieds traînaient sur le plancher, ils amenèrent Godefroy d’Argouges au centre de l’échafaud.
    — Allez, dit Blainville, approuvé par les juges.
    Tandis qu’un sergent saisissait le condamné à bras-le-corps, l’autre lui enlevait son heaume, son épée, ses jambières et ses éperons. Le haubert tomba le dernier. Pour approcher son ennemi, Blainville, pâle mais radieux, avait attendu qu’il fut en chemise.
    — Eh bien, messire Argouges, se récria-t-il les bras levés, avec une emphase dont il se régalait seul, comme vous voilà mis !… Par le sel de mon baptême, vous n’êtes plus si asségur [102]  !
    Il se baissa et prit l’épée. Levant un genou, il rompit dessus la lame sciée à l’avance.
    — Sale arme ! dit-il en laissant tomber les tronçons. Et mains traîtresses qui l’ont tenue.
    Il saisit ensuite le lourd marteau de forge que Ramonnet lui présentait et, s’agenouillant, à l’aide de cette mailloche plus redoutable qu’une masse d’armes, il s’acharna sur les dépouilles de fer entassées devant les juges. Quand il eut fini d’assouvir ses forces et sa fureur, il se redressa et lança l’outil en bas de l’estrade, comme s’il venait de le souiller au contact des habits de guerre. Enfin, de ses talons, en conservant la même expression de répugnance, le substitut de Philippe VI de Valois brisa les éperons dorés de sa victime et les foula longuement aux pieds, comme s’il écrasait deux araignées géantes.
    Le silence était tel qu’Ogier entendit les craquements des molettes brisées.
    Un sergent réunit ces débris et à pas lents quitta l’estrade. Il s’en alla vers le tas de fumier, devant les écuries, et les y jeta, effarouchant des volailles et des oiseaux occupés à gratter la paille fangeuse. Il frotta ses mains contre son tabard. Son visage poisseux exprimait un tel dégoût qu’on eût pu croire qu’il venait de toucher des hardes de lépreux.
    — Nous sommes trois cents à assister à ce forfait, grogna Guillaume. Pas un ne bouge !
    Ogier désavoua cet avis. Il y avait eu quelques murmures aussi bien chez les seigneurs que chez les piétons ; tous les visages s’étaient figés en direction de l’échafaud. Ils exprimaient, sans exception, le courroux et la répugnance.
    — Mieux vaut attendre, dit Blanquefort. Si vous vous rebelliez tout seul, messire, vous ne reverriez pas Rechignac… Blainville est puissant et artificieux.
    — Il est baron comme moi.
    — Avec le roi dans une manche, le duc Jean dans l’autre et la reine dans ses braies… Il nous faut, je vous l’accorde, de la patience et du courage… Car c’est courage, en vérité, de demeurer sans bouger ni mot dire, alors que

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