Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
travaux en cet endroit… Il s’appelait Jean. Nous l’avons, ce matin, enterré au hameau. Il était heureusement sans famille.
    Guillaume se tourna vers le disciple de l’architecte. L’expression de son visage signifiait : « Je ne vous ai rien demandé », puis il dit :
    — Cet homme est à plaindre, c’est vrai. D’où nous venons, nous en avons vu mourir des milliers. Ils n’auront pas, eux, la bonne chance de votre couvreur : ceux que le feu n’a pas dévorés, les poissons s’en chargeront… La plupart avaient femme et enfants.
    Satisfait de sa repartie, le baron entraîna Ogier :
    — Allons, viens, mon gars… Sicart est du comté de Foix… Bressolles, lui, vient de Carcassonne… S’il y avait encore des patarins, je te dirais qu’il en est un.
    Ogier trouva son oncle excessif. Il y avait plus d’un siècle que Simon de Montfort et les Inquisiteurs avaient pacifié la Langue d’Oc [130] . Il était impossible que cet homme-là fut hérétique.
    — Il sait façonner la pierre. Il taillera ma figure dans un de ces rochers que tu vois là, et d’un autre, il fera sortir Guibourc, ma dame, qui repose en la chapelle… Je lui raconterai comment de visage, de corps et de cœur elle était… T’ai-je dit qu’elle mourut en donnant le jour à Tancrède ?
    — Non, mon oncle.
    — Tu allais ajouter un mot ?
    — Plusieurs, en vérité. J’allais dire : « Quel nom, pour une fille ! » Est-ce votre choix ?
    Guillaume sourit, et tout en frottant son front rougi par le bord du heaume :
    — Si ma femme avait survécu à la naissance de ma puînée, elle l’aurait baptisée Rosemonde, Luciane, Esclarmonde, Aiglantine… Que sais-je encore ?… Mais j’attendais un fils. J’ai gardé le nom que je lui destinais. Comment la trouves-tu ?
    La question embarrassa Ogier. Il ne pouvait répondre, comme il l’eût fait pour Claresme : « Je crois qu’elle aura de l’affection pour moi. » Au contraire de son aînée, cette pucelle, d’emblée, s’était montrée distante et hautaine. On eût dit qu’elle n’ignorait rien ni de lui ni des raisons de sa venue à Rechignac.
    — Je connais trop petitement vos filles, mon oncle. Comment pourrais-je vous dire ce que je pense d’elles ?
    — Dans huit jours, je conduirai Tancrède au couvent de Lubersac, dont la sœur de Vivien est prieure. Elle y apprendra les bonnes manières, l’écriture… Enfin tout ce qui sied à une pucelle bien née.
    « Et pourquoi pas Claresme ? » fut tenté de demander Ogier.
    Craignant que cette curiosité ne fût considérée comme une impertinence, il revint à Tancrède :
    — Se réjouissait-elle, avant que vous n’alliez en Normandie, de partir si loin de vous et si longtemps ?
    — Sans doute.
    — Et sa sœur ?
    Guillaume parut trouver cette question absurde :
    — Claresme est bonne à marier.
    Pour clore cet interrogatoire, le baron eut un geste mou, exprimant une fatigue de l’esprit plutôt que du corps.
    — Aime-les comme elles t’aimeront.
    C’était exactement ce qu’Ogier pensait.

IX
    Après qu’il se fut lavé aux étuves en compagnie de Blanquefort, Ogier prit part au souper. Il y mangeota. Il se sentait trop las, trop esseulé parmi des commensaux bruyants et bavards qu’il dérangeait dans leurs habitudes. Sa présence n’en laissait aucun indifférent. Certains l’observaient sans trêve, d’une façon tantôt droite, tantôt furtive. D’autres, entre deux bouchées, deux gorgées, échangeaient en langue d’oc des appréciations dont la teneur semblait à son désavantage. N’étant à Rechignac que pour un jour ou deux, il se fut peu soucié du mésaise qu’il éprouvait. Mais il allait devoir demeurer en ces lieux où il se connaissait déjà trois ennemis.
    « Bah ! se dit-il, qu’importe ! Ne suis-je pas venu céans pour m’endurcir ? »
    Comme il pignochait une gruotte [131] bien cuite, relevée de poivre et de safran, Mathilde, courroucée, lui présenta deux jattes. Elles contenaient des pâtés.
    — Allons, damoiseau ! L’un est d’oie, l’autre de lièvre. Ils sont truffés et fondants à souhait… S’il y goûte avant vous, notre cordelier vous dira qu’il les trouve divins.
    Comme Arnaud Clergue, approuvant de la tête, présentait son écuelle à la tentatrice, le garçon crut habile d’exciper de sa fatigue :
    — Je suis moulu, dame Mathilde, et crains aussi d’avoir le ventre moins profond que celui de votre

Weitere Kostenlose Bücher