Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
tendresse ou de complicité, se mêlait une amertume ulcérante et hargneuse.
    « Folles !… Impudentes et imprudentes ! »
    Avaient-elles cru, en venant se jucher sous l’énorme entonnoir du toit inachevé, se placer hors d’atteinte des regards et des médisances ? Eh bien, non : figé dans l’ombre du poutrage, il était là, pantois et plus attentif qu’en n’importe quel affût.
    « Une pareille étreinte ! »
    Comment eût-il pu imaginer cela ? Ce qui l’ébahissait, c’était qu’à son indignation se fut substituée cette attention sournoise, immodérée. Sans procès, il condamnait ces créatures, et cependant, leur embrassement dégageait une félicité tellement accomplie dans son impudicité même qu’il en grelottait d’émoi, d’impatience. Cet aguet malséant et indigne ravageait son cœur, ses entrailles, mais pour rien au monde il n’y eût renoncé. D’ailleurs, comment eût-il pu y mettre un terme ? Bouger, c’était se trahir.
    « Qu’elles agissent ! Qu’elles agissent ! »
    Il y avait dans sa hâte de voir s’achever ce prologue alléchant une sorte de désespoir – ou d’ivresse. « Elles sont folles ! » Et lui ? Quelle abjection de se brouiller les sangs pour ces jouvencelles en mal d’amour ! Mais il n’y pouvait rien ; sa raison, sa volonté abdiquaient devant cette double exigence : entendre et voir.
    — Dès que ton père a franchi le pont-levis, dit Gersende, j’ai pensé : «  Il revient, elle va partir. » Ah ! mon aimée, j’aurais voulu qu’il périsse en Flandre…
    Tancrède frotta sa joue contre celle de sa servante. Leurs cheveux épars se fondirent en une longue flamme obscure moirée d’or.
    — Ne sois pas sotte. Voilà six mois qu’il a décidé de me conduire à Lubersac. Nous avons eu le temps de nous résigner à cette séparation.
    — Il m’en coûte plus qu’à toi. Tu sais combien…
    Ogier tendit l’oreille : le vent redoublait de vigueur et certains mots lui échappaient. Proche de Gersende par le corps, Tancrède restait lointaine par l’esprit, et la voyant ainsi, insensible à la détresse de sa compagne, le garçon comprit qu’elle lui faisait confusément peur, tout en l’attirant. C’était moins parce qu’elle avait pris d’emblée ses distances avec lui que parce qu’il connaissait maintenant son secret qu’il éprouvait, presque affolant par sa simplicité, ce désir vil peut-être, mais véhément, d’emplir ses mains de ses contours. Elle allait partir. Il n’aurait pas le temps de la connaître, et surtout de la mieux connaître. Pour le moment, il lui suffisait d’attendre et de voir. Quoi ? Qu’allaient-elles faire ? Rien peut-être.
    « Ah ! non, non, qu’elles agissent ou qu’elles s’en aillent. »
    La lune enfin dégagée caressait d’une ondée d’argent les étoffes mouvantes, soulignant ainsi la fixité de Tancrède et l’indolence de la chambrière. Sa clarté avivée par celle des étoiles ajoutait aux arcanes de cette scène une sorte de fièvre et d’ivresse infinies.
    — Si tu ne m’emmènes pas, menaça Gersende excédée par un silence abrupt et comme définitif, je me tuerai.
    Tancrède désigna, devant elle, l’ouverture d’un mâchicoulis.
    — Jean a chu par là… N’attends pas… Saute !
    La servante recula. Tancrède émit un petit rire, contempla de bas en haut sa chambrière, qu’elle serra de nouveau contre elle avant de la baiser à pleine bouche.
    — Allons, allons, m’amie, tu ne vas pas pleurer ?
    Quelque chose d’âpre et de brûlant se mêlait à la salive d’Ogier. Il ne regrettait pas d’avoir quitté sa chambre, bien que le désespoir de Gersende et l’âpre ardeur de Tancrède le confondissent de remords, et pour elles, et pour lui. Il existait des amitiés solides entre des pucelles nobles et des vilaines à leur service. Ainsi, à Gratot, les rapports d’Aude et de Guillemette, sa chambrière, étaient presque ceux de deux sœurs. Mais cet attachement-là ! Ce tutoiement aux accents passionnés, ces gestes et ce baiser goulu, c’étaient, réunis, comme un mauvais simulacre d’amour. Et qui avait initié – ou plutôt corrompu – l’autre ? Qui donnait ? Qui recevait ? Claresme était-elle informée ? Qui savait au château ? De tels égarements ne pouvaient demeurer méconnus.
    En tout cas, ses pressentiments ne l’avaient pas trompé : Gersende haïssait les mâles. D’où venait-elle ? La puînée

Weitere Kostenlose Bücher