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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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retournée. La surprise, la perplexité puis l’aversion animèrent son visage. Suffocante de fureur, Gersende se porta en avant :
    — N’as-tu rien d’autre à faire ? Plutôt que de t’occuper de nous, ne ferais-tu pas mieux de t’intéresser au nouveau ?
    Ogier tressaillit. Son cœur battit à gros spasmes désordonnés.
    — Le nouveau me déplaît autant qu’à toi, mâtine. S’il m’empêche la vie, eh bien, il me trouvera. Mais s’il reste dans son coin, je resterai dans le mien.
    — Pour que tu parles ainsi, le Normand te fait peur.
    — Peur, cousine ? Certes, non. Mais Guillaume l’a pris sous sa protection. Et Blanquefort. Et peut-être Vivien… Quoi que je fasse, les torts seront toujours de mon côté.
    Même la nuit, vêtu des chausses et du surcot de velours cramoisi qu’il portait au repas, Didier inspirait le mépris, sinon la répulsion. Il semblait plein de quelque chose de malpropre et de rance. Chaque fois qu’il s’approchait d’un pas, les filles s’en éloignaient d’autant vers la guette. Il était né crasseux, gluant, et le resterait toujours. Il fut pris d’un accès de rire :
    — Il en ferait une tête, le baron, s’il vous surprenait à vous amourer. Vaut mieux que ce soit moi qui vous mignote ensemble. Qu’en dites-vous ? Veux-tu que je commence par toi ?
    Il avait saisi Gersende par le coude sans que Tancrède eût réagi. Elle demeurait immobile, les bras ballants, dans une attitude à la fois songeuse et rébarbative.
    — Lâche-moi, malebouche ! protesta la chambrière en griffant la poigne qui la meurtrissait. Et puis va-t’en : tu empunaises. (Sa colère redoubla.) Qui es-tu ? Un goguelu à peine plus avantagé que moi dans l’estime du baron. À partir de demain, tu sentiras combien tu comptes peu pour lui… Tu as vu où il a placé l’autre, à table ? Il ne t’a jamais fait cet honneur !
    — Tais-toi, menaça Didier. Tais-toi ou tu vas te repentir d’avoir la langue un peu longue… Si ce défaut, j’imagine, ne messied pas à ma cousine, sache qu’il me déplaît.
    Il repoussa la fille avec tant de violence qu’elle trébucha. Tancrède la reçut contre elle et l’enveloppa dans ses bras. Aussitôt Gersende se crut autorisée au rire et à la provocation :
    — Messire Didier, fit-elle courbée dans une révérence, qui êtes-vous pour donner ainsi tant de commandements ?
    — Un culvert, dit Tancrède. Rien de plus.
    — Toujours puant, ajouta la servante.
    Cessant imprévisiblement ses grâces, elle était redevenue hardie, haineuse. Didier leva la main ; l’audace de Gersende s’en trouva dilatée :
    — Allons, vaillant gars… Frappe-moi… Je connais tes poings… Il t’a fallu cogner fort, pas vrai, pour me violer ?
    — Menteuse !
    — Menteur toi-même, gros pétaud ! Vipère !… Messire Guillaume venait de partir pour Rouen… Mathilde m’avait dit de nettoyer sa chambre, et c’est là que tu m’as prise, et je crois bien que tes deux compères faisaient le guet !… À qui me serais-je plainte, sinon à elle ?
    Gersende, qui s’était tournée vers Tancrède, fit de nouveau face à Didier.
    — Vivien ne se satisfait que d’apparences. Du moment que les murs lui semblent bien gardés, le reste ne l’intéresse pas.
    — Putain ! Ne te fais pas mieux que tu n’es !
    — Il suffit, Didier, dit Tancrède. Va-t’en. Gersende n’est sûrement pas la seule que tu as chevauchée sans son assentiment… Mais les autres ne parlent point. Elles ont à tout jamais désespoir et vergogne… Laisse-nous !… Avant de m’en aller, je préviendrai mon père.
    Didier passa de l’insolence à la menace :
    — Tu ne diras rien, cousine, car ma bouche est encore plus grande que la tienne. Comment dit-on, déjà ?… Je serai éloquent.
    Au lieu de se montrer tout à coup anxieuses, les deux filles se tinrent l’une l’autre par la taille, échangèrent un regard et s’ébaudirent.
    — Essaie, dit Tancrède. Imagine que j’arrive devant Guillaume la robe déchirée, les chairs égratignées, en pleurnichant : « Père ! Père ! » – elle prenait une voix stridente, douloureuse – « Mon cousin Saint-Rémy m’a violée. » Que crois-tu qu’il ferait ?
    Ogier ne perdait rien de la chicane. Gersende jouissait de la stupéfaction du rustaud, et pour accroître sa fureur, elle planta un baiser sur la joue de Tancrède, qui le lui rendit. Alors, poings aux hanches, la fille du

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