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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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impossible à
Kersten d’intervenir pour toutes les injustices et les souffrances dont ses
amis l’informaient et même pour la plupart d’entre elles. Dans la liste atroce,
le docteur choisissait les cas particuliers les plus pathétiques, les mesures
générales les plus barbares, et, au moment propice, pendant le traitement, il
en parlait à Himmler.
    Peu à peu, il avait élaboré, pour
ses demandes, toute une technique. Lorsque le mal dont Himmler était atteint
traversait une phase aiguë et que, seules, les mains de Kersten avaient le pouvoir
de l’apaiser, le docteur s’adressait, comme il l’avait fait jusque-là, aux
sentiments de gratitude et d’amitié du Reichsführer. C’était en son nom
personnel, pour sa propre satisfaction, qu’il demandait une grâce, un
élargissement, l’annulation ou la suspension d’un décret.
    Mais les périodes où il pouvait user
de ces moyens étaient les plus rares. Aussitôt la crise passée, Himmler y
devenait insensible. Alors, Kersten eut recours à la vanité, si l’on peut dire,
historique du Reichsführer.
    L’ancien instituteur avait le culte
du haut Moyen Age allemand. Il avait trouvé ses héros, ses modèles idolâtrés
dans les Empereurs et les Princes de cette époque, tels que Frédéric
Barberousse et, au X e  siècle, Henri I er  l’Oiseleur.
La gloire de ce dernier, surtout, l’exaltait jusqu’aux limites du délire. Il
éprouvait un tel besoin de s’identifier à lui qu’il croyait parfois réincarner,
dans notre siècle, sa personne.
    Kersten, à qui, plus d’une fois,
Himmler avait fait confidence de ses rêves, les mit au service de ses desseins.
Il le fit d’abord avec précaution, par crainte de dépasser la mesure. Mais il
s’aperçut très vite que, tout en se défendant pour la forme, Himmler était
heureux de l’entendre. De douce violence en douce violence à la vanité du
Reichsführer, Kersten finit par lui dire avec cette intonation persuasive que
les psychiatres emploient pour les fous :
    — On parlera de vous dans les
siècles à venir comme du plus grand chef de la race allemande, comme d’un héros
de la Germanie, l’égal des anciens chevaliers, l’égal de Henri l’Oiseleur. Mais
souvenez-vous qu’ils ne devaient pas leur gloire à la seule force et au seul
courage. Ils la devaient aussi à leur justice et à leur générosité. Pour
ressembler vraiment à ces paladins, à ces preux, il faut être, comme ils
l’étaient, magnanime. En parlant de la sorte, Reichsführer, je pense à vous,
dans les siècles de l’Histoire.
    Et Himmler, qui avait une confiance
absolue dans les mains de Kersten parce qu’elles avaient su deviner et apaiser
son mal physique, accordait foi, maintenant, à ses louanges, car elles
découvraient et calmaient en même temps son mal psychique.
    — Cher monsieur Kersten,
disait-il, vous êtes mon seul ami, mon Bouddha, le seul qui sache me comprendre
aussi bien que me soigner.
    Et Himmler appelait Brandt, lui
ordonnait d’établir une liste de noms désignés par Kersten et signait l’arrêté
libérateur. Et souvent, lorsqu’il restait une place libre sur la feuille entre
le dernier nom et la signature, Brandt, qui était entré complètement dans les
intérêts de Kersten, par amitié pour lui, mais aussi et surtout parce qu’au
fond de lui-même il ressentait une honte et une horreur toujours croissantes
d’avoir à préparer, rédiger et transmettre, toujours plus nombreux, les
documents qui faisaient le malheur des hommes, Brandt ajoutait à l’insu de
Himmler, et après avis de Kersten, deux ou trois autres noms. Et ceux qu’il
désignait retrouvaient, grâce au sceau et à la griffe du Reichsführer, la
liberté au lieu des tortures, et la vie au lieu du gibet.
    Chacun de ces sauvetages donnait une
grande joie à Kersten, mais, en même temps, une inquiétude profonde. Les chefs
de la Gestapo, les inquisiteurs, les chasseurs d’hommes, les affameurs et les
bourreaux, ne pouvaient pas manquer de se demander les raisons qui poussaient
Himmler à ces libérations, à ces grâces. Il ne les avait pas habitués à tant de
mansuétude. Il avait exigé d’eux, et continuait à le faire, un acharnement
inexorable dans la persécution et la terreur. Pourquoi ce changement ?
    Kersten pensait qu’un jour ou
l’autre l’idée viendrait fatalement à Rauter ou à Heydrich d’en attribuer la
responsabilité à celui qui avait arraché l’antiquaire Bignell à son

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