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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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voix brutale :
    — Avez-vous soigné des
Juifs ?
    — Bien sûr, dit Kersten sans
hésiter un instant.
    Après ce qu’il avait redouté, il
éprouvait un soulagement intense.
    — Vous ne savez donc pas que
c’est interdit, absolument interdit ? cria le policier.
    — Non, répondit Kersten.
    Il considéra l’un après l’autre les
deux hommes et poursuivit :
    — Et d’ailleurs cela ne me
regarde pas.
    Les policiers parlèrent
ensemble :
    — Vous vous mettez hors la loi
du peuple allemand, dit le premier.
    — Vous avez une conduite qui
n’est pas celle d’un médecin allemand, dit le second.
    De nouveau, le regard de Kersten
alla de l’un à l’autre.
    — Je ne suis pas un médecin
allemand, répondit-il avec politesse, je suis finlandais.
    — C’est ce que vous prétendez.
    — Montrez-nous ce fameux
passeport.
    — Mais très volontiers, dit
Kersten.
    Quand ils eurent entre les mains la
preuve indéniable que le docteur avait, depuis plus de vingt ans, la
nationalité finlandaise, les policiers eurent soudain l’air très stupide et
celui qui avait été le plus agressif se montra aussi le plus servile en
excuses.
    — Pardonnez-nous, Herr Doctor,
dit-il, ce n’est pas notre faute, on nous a donné une fausse information, on
nous a formellement assuré que vous étiez un médecin allemand.
    — J’ai aussi un diplôme
allemand, dit Kersten, mais avant tout je suis finlandais, et même, dans mon
pays, Medizinälrat [5] .
Voulez-vous aussi ce document ?
    — Oh ! non, je vous en
prie, s’écria le policier, comme écrasé par le titre. Nous n’avons plus rien à
faire ici. Encore mille excuses.
    Kersten alla réveiller Élisabeth
Lube et lui demanda de faire un café très fort. Tout en le buvant, terriblement
sucré comme à l’ordinaire, et mangeant tartines beurrées sur tartines beurrées,
il fit, avec sa vieille amie, le tour des hypothèses que soulevait la visite de
la Gestapo. Les chefs qui avaient envoyé les deux agents avaient-ils vraiment
cru que le docteur n’était pas finlandais ? Certes, dans sa jeunesse, il
avait changé de citoyenneté trois fois en trois ans, et pendant la guerre de
1914, avant de s’engager dans l’armée finnoise, il avait eu la nationalité
allemande. Mais dans le cas où il l’eût conservée, il aurait été mobilisé dans
la Wehrmacht. Et puis la Gestapo avait tous les moyens de se renseigner à
l’ambassade de Finlande. Non, cela ne tenait pas debout.
    Alors ? Avertissement ?
Intimidation ? Chantage ?
    — Ce qui importe, dit Élisabeth
Lube à la fin de cet entretien, est de savoir si Himmler était au courant et
d’accord.
    À midi, l’heure accoutumée, Kersten
entra dans le bureau de Himmler, à la Chancellerie, et, avant même d’enlever
son manteau, il dit gaiement au Reichsführer :
    — Quand vous voudrez apprendre
quelque chose sur moi, il n’est pas besoin de m’envoyer la Gestapo. Vous n’avez
qu’à me le demander vous-même.
    Himmler, qui n’avait pas vu le
docteur depuis les fêtes de Noël et qui avançait vers lui les mains tendues,
s’arrêta net, comme frappé au plexus solaire :
    — Vous avez reçu la visite de
la Gestapo ? s’écria-t-il. Ce n’est pas possible.
    Himmler saisit le téléphone et
ordonna qu’on le renseignât sur-le-champ. Quand il eut obtenu les informations
nécessaires, il laissa pendre l’écouteur au bout de son fil et dit à Kersten,
sans le regarder et d’une voix pleine de gêne :
    — En effet, on devait vous
arrêter pour avoir soigné des Juifs.
    Brusquement, Himmler reprit le
téléphone et, le visage blêmi par la fureur, cria :
    — J’interdis, j’interdis que,
sous aucun prétexte, on se mêle de la conduite du docteur Kersten. C’est un
ordre absolu. Le docteur est sous ma responsabilité personnelle.
    Il raccrocha l’écouteur avec
violence, reprit difficilement sa respiration, puis se mit à faire glisser les
verres de ses lunettes contre son front, de haut en bas et de bas en haut.
Kersten vit à ce mouvement que sa colère n’était pas apaisée et se tournait
contre lui.
    — Vous ne pouvez pas soigner de
Juifs en étant mon médecin, s’écria Himmler.
    — Comment voulez-vous que je
sache la religion de mes patients ? répliqua Kersten. Je ne demande jamais
cela. Juifs ou pas Juifs, ils sont mes malades.
    Ce n’était pas la première fois que
Himmler et Kersten parlaient de la question juive, et Himmler savait très bien
que,

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