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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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Heinrich ».
    Kersten reprit son ton et son visage
les plus débonnaires.
    — Alors, dit-il, puisque la
force n’est plus de saison contre la Finlande, usons de diplomatie. Croyez-moi,
cela vaut mieux. Acceptez que je passe deux mois en Suède pour y soigner mes
compatriotes.
    — C’est bon, allez-y, soupira
Himmler.
    Soudain, il saisit la main de
Kersten qui travaillait ses nerfs, et la voix changée, dure, rauque,
s’écria :
    — Mais vous reviendrez, vous
reviendrez à coup sûr ? Sinon…
    Le docteur retira sa main avec
précaution, mais fermeté :
    — Pourquoi me parlez-vous
ainsi ? demanda-t-il. En quoi ai-je mérité ce manque de confiance ?
    Une fois de plus, le remords le plus
vrai se peignit sur les traits de Himmler.
    — Je vous prie, cher monsieur
Kersten, dit-il, je vous prie du fond du cœur, de m’excuser. Vous le savez, ma
vie est telle que le soupçon est devenu chez moi une deuxième nature. Mais pas
à votre égard. Vous êtes le seul homme au monde à la sincérité et à la bonté de
qui je crois.
    L’instinct, chez Kersten, le
servait, pour ses rapports avec le Reichsführer, autant que la raison. Il fut
prompt à profiter de cet état d’humilité :
    — J’ai l’intention, dit le
docteur comme la chose la plus naturelle, j’ai l’intention de prendre avec moi
en Suède ma femme et mon plus petit garçon encore au sein – il n’a que
trois mois – et sa nurse, une Balte…
    Les ongles de Himmler griffaient
d’un mouvement tout machinal le cuir du divan où il était allongé. Il observa
un instant Kersten de biais. Son regard exprimait le soupçon chronique, aigu,
redoutable. Mais sa voix demeura égale pour demander :
    — Les deux autres garçons
partent aussi ?
    Kersten fut sur le point de dire
« oui ». Comme il ouvrait la bouche pour le faire, il s’entendit
répondre :
    — Oh, pas du tout ! Eux,
ils n’ont pas besoin de leur mère à chaque instant. Ils vont rester à
Hartzwalde, avec Élisabeth Lube, ma sœur, que vous connaissez.
    L’intuition qui, au dernier instant,
lui avait fait changer de propos, Kersten en vit une fois de plus la justesse.
Le visage de Himmler s’éclaira d’un seul coup. Il était toute bonté, toute
confiance. Il dit avec un sourire entendu de père de famille :
    — Vous avez bien raison. La
campagne vaut tellement mieux pour les enfants qu’une grande ville, même si
c’est Stockholm.
    Kersten répondit avec un sourire
pareil :
    — C’est bien ce que je pense.
Le lait est excellent à la propriété.
     

2
    Pour comprendre l’exaltation, la fièvre
d’allégresse qui saisit Kersten, il faut que ceux qui ont connu le temps de
Hitler y retournent par le souvenir et que les autres essaient de l’imaginer.
    Manque de nourriture, manque de
chauffage, manque de vêtements, queues interminables pour les objets de la
nécessité la plus élémentaire, villes qui jamais ne s’éclairent la nuit –
voilà quelle était matériellement l’existence normale pour des millions
et des millions d’hommes. Et sur ces êtres débilités, épuisés, régnait sans
cesse la peur. Ils tremblaient pour ceux qui étaient au combat, pour ceux
qu’attendaient ou déjà renfermaient camps et prisons. Ils tremblaient – du
moins ceux qui survivaient – sous les explosions de bombardements
gigantesques et, l’alerte passée, ils tremblaient, au petit jour, d’entendre
contre leur porte frapper les poings des policiers.
    Kersten souffrait beaucoup moins des
privations que la plupart des gens. Mais l’élevage et l’abattage clandestins
sur sa propriété lui faisaient courir des risques considérables et qui allaient
jusqu’à la peine de mort.
    La petite guerre contre les
contrôleurs, les ruses des Témoins de Jéhovah, tout ce qui apparaît aujourd’hui
histoire amusante, se payait alors en alertes, en inquiétudes, en profonde
fatigue nerveuse. Et surtout, Kersten, depuis longtemps, n’était plus capable
de fermer les yeux sur les souffrances qui l’environnaient. La disette, le
froid, l’angoisse des familles pour leurs proches, la crainte de la délation,
la peur de dire un mot de trop, pesaient sur lui d’un poids toujours croissant.
Quant à la terreur policière, il vivait pour ainsi dire dans les entrailles
mêmes de la pieuvre qui, de ses tentacules, enveloppait, étouffait presque
toute l’Europe.
    Un seul trait suffit à peindre la
simplicité presque enfantine de la joie qui emplit le cœur de

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