Les Mains du miracle
librement dans une
organisation militaire d’élite. C’était comme une tache, une incongruité.
Kersten, que cette attitude amusait
plutôt, dit un jour à Berger qu’il avait été, lui aussi, officier autrefois,
dans l’armée finlandaise.
— Je ne le croirai pas,
répondit le général, tant que je n’aurai pas vu vos papiers.
Kersten les lui montra et, en outre,
une photographie de ces temps lointains. Berger dit alors :
— Même sur une image, vous
n’arrivez pas à prendre l’air d’un soldat.
— Eh bien, dit Kersten avec un
grand sérieux, Himmler veut me nommer colonel chez vous.
— Je ne voudrais pas de vous
comme caporal, gronda Berger.
Cependant, sur un ordre catégorique
de Himmler qui tenait à voir ses principaux adjoints dans le meilleur état de
santé – c’est-à-dire d’efficacité – possible, Berger dut se faire
examiner par Kersten.
— J’ai horreur de cela et je ne
crois pas un seul mot de vos sacrés miracles, dit le général.
— Déshabillez-vous tout de
même, dit Kersten.
Le commandant des Waffen S.S. obéit
en grommelant et jurant. Mais lorsque, après l’avoir ausculté du bout des
doigts, le docteur se mit à énumérer les troubles que Berger ressentait dans
son organisme, le général – et il n’y avait plus trace dans sa voix de
rudesse ou de dédain – s’écria :
— Comment pouvez-vous
savoir ? Ces malaises, Himmler ne les connaît pas. Je ne lui en ai jamais
dit un mot.
De traitement en traitement, Berger
donna sa confiance à Kersten et puis une espèce d’amitié bougonne. Le docteur
découvrit alors que le général n’était pas seulement préoccupé de la tenue et
de la discipline dans l’armée, mais aussi de son honneur. Il avait en dégoût
profond la Gestapo, les camps de la mort, le racisme. Et il n’y avait rien de
commun, pour lui, entre les Waffen S.S. qui étaient de vrais soldats – et
les bourreaux S.S. qu’il interdisait à ses hommes de fréquenter [12] .
Entre Schellenberg et Kersten, le
contact eut lieu beaucoup plus tard. Le chef des services d’espionnage du
Reichsführer voyageait beaucoup. Pendant ses brefs séjours au Q.G., ses
rapports avec le docteur étaient ceux de la courtoisie impersonnelle. Mais tous
deux, sans le montrer, s’observaient, se renseignaient l’un sur l’autre.
Ils se trouvèrent réunis pour un
temps assez long, au cours de l’été 1942, lorsque Himmler établit ses quartiers
de campagne dans la vieille caserne russe de Jitomir, en Ukraine. Le
Reichsführer en profita pour inciter impérieusement Schellenberg, qu’il tenait
en haute estime, à se faire examiner par Kersten. Quand Himmler en avertit le
docteur, ce dernier s’étonna : Schellenberg avait trente-deux ans et
semblait en parfaite condition physique.
— En vérité, je ne crois pas
qu’il ait besoin de vos soins, dit alors Himmler. Mais, pendant le traitement,
vous pouvez l’étudier à fond et ensuite me donner votre avis sur son caractère.
Il est très fort et c’est un homme d’avenir. Mais son ambition démesurée
m’inquiète.
La première rencontre se déroula
clans des conditions singulières. Il faisait déjà nuit et Kersten était couché
dans la petite et lugubre maison qui lui avait été assignée dans l’enceinte de
l’ancienne caserne russe. La porte de la chambre s’ouvrit sans bruit et
Schellenberg entra. Sa silhouette mince, vive, élégante, se détacha sur les
murs gris de la pièce. La lumière pauvre faisait paraître plus pâles ses
cheveux blonds. Le jeune colonel prit une chaise et vint s’asseoir près du lit
de Kersten. La conversation se tint à mi-voix.
— C’est Himmler qui m’envoie
chez vous, dit Schellenberg.
— Il m’a prévenu, dit Kersten.
Les deux hommes se regardèrent en
silence. Ils savaient l’un et l’autre que cette visite avait pour but un examen
médical. Mais ni l’un ni l’autre n’ébaucha un mouvement à cet effet. Ils
s’étudiaient, se jaugeaient.
— Je suis heureux de faire
enfin vraiment connaissance avec vous, colonel, dit lentement Kersten. Vous
avez beaucoup d’ennemis dans l’entourage du Reichsführer. Vous avez réussi trop
vite. Mais, en ce qui me concerne, vous n’avez rien à craindre. Je peux, au
contraire, vous aider beaucoup, si nous sommes amis.
Schellenberg répondit sans
hésiter :
— Je le sais parfaitement, Herr
Medizinälrat, et je viens vous demander votre amitié. Je ferai ce qu’il
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