Les Mains du miracle
faut
pour cela.
— Très bien, répondit Kersten.
Il s’adossa confortablement contre
ses oreillers, croisa les mains sur son ventre et reprit :
— J’ai cru comprendre, d’après
ce qu’on m’a dit, que vous aviez envie d’être général. On vous le reproche. On
trouve que vous êtes trop pressé. Moi, je pense que c’est un désir tout naturel
de la part d’un homme tel que vous. Et je crois pouvoir vous aider.
Dans la pénombre, les yeux clairs de
Schellenberg semblaient s’agrandir.
— Vous verrez que je mérite
votre confiance, dit-il.
Dès lors, directement ou
indirectement, mais toujours avec une habileté consommée qui ne laissa jamais
soupçonner leur pacte nocturne, Schellenberg appuya les entreprises de Kersten.
Et, notamment, pour la grâce des espions suédois, son concours – parce
qu’il était le chef du contre-espionnage – fut un élément décisif.
7
Donc, revenu de Suède et avant de
risquer un mot à Himmler des plans qu’il y avait formés, Kersten sonda tour à
tour Schellenberg et le général Berger.
Il les trouva plus enclins à
soutenir son projet qu’il ne l’avait espéré. Schellenberg avait pour cela deux
raisons. Il voyait croître sans cesse l’influence de Kersten auprès du
Reichsführer et comptait toujours davantage sur son truchement pour devenir le plus
jeune général d’Allemagne. Il voyait en même temps – et d’un œil
singulièrement averti – diminuer jusqu’au néant les chances de Hitler.
Disposé par son tempérament et par ses fonctions à jouer sur plusieurs tableaux
à la fois, il comprit tout de suite les avantages que lui vaudrait chez les
Alliés, après leur victoire, le fait d’avoir aidé au salut de milliers
d’internés.
Quant au général Berger, c’était
encore plus simple. Le vieux soldat n’avait que dégoût pour les atrocités des
camps de concentration et il souffrait dans son honneur de savoir que les
hommes qui avaient été sous ses ordres et portaient l’uniforme des Waffen S.S.,
y servaient comme gardes-chiourme et tortionnaires.
Ainsi, au départ, Kersten avait pour
lui Brandt, le secrétaire privé de Himmler, dépositaire de tous ses secrets et
qui le voyait à chaque minute du jour et de la nuit, Godlob Berger, commandant
l’armée du Reichsführer et Walter Schellenberg qui dirigeait ses services
d’espionnage.
Par contre, il avait comme ennemis
jurés Kaltenbrunner, le grand chef de la Gestapo, tout son état-major, tous ses
agents. Ces hommes étaient non seulement opposés d’une volonté implacable à
toute mesure qui relevait de la clémence ou de la pitié (car ils les tenaient
pour une atteinte à leur pouvoir) mais, en outre, ils nourrissaient pour
Kersten une haine personnelle qui s’exaspérait dans la mesure même où ils
voyaient grandir la faveur que Himmler lui montrait et s’allonger la liste des
grâces qu’il lui accordait.
Kaltenbrunner, bien qu’il eût succédé
à Heydrich, ne ressemblait guère à celui-ci. Il n’avait pas son intelligence,
ni son éducation, ni son sang-froid. Il était d’humeur sombre, violente,
fanatique des supplices et des exécutions. Chaque fois que Kersten intervenait
avec succès pour sauver quelques vies, Kaltenbrunner était pris de fureurs
pathologiques. Il abhorrait dans la personne du docteur et jusqu’à l’idée
fixe – la tolérance, la compassion, le lions de l’humain.
— Faites bien attention à cette
brute, avait dit Brandt à Kersten. Il est capable de vous faire assassiner.
8
Le docteur ne pensait pas que
Kaltenbrunner irait si loin. Mais il y avait dans l’existence de Kersten un
délit permanent qui pouvait donner prise sur lui au chef de la Gestapo. Ce
n’était pas son courrier secret de Hollande. Le numéro postal de Himmler avait
fait à cet égard ses preuves de sécurité. Le crime pour lequel Kersten
craignait d’être découvert relevait d’un ordre plus trivial. Il s’agissait de
l’abattage clandestin qu’il pratiquait à Hartzwalde. Cette infraction aux lois
sur le ravitaillement était punie de mort. Sans doute le docteur avait pour lui
le dévouement et les ruses des Témoins de Jéhovah qui travaillaient sur son
domaine. Mais une surprise était toujours possible et au moment où Kersten
entreprenait une tâche qui allait mobiliser contre lui toutes les forces de la
Gestapo, il ne pouvait plus se permettre de courir un risque aussi grave et de
le faire partager aux
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