Les Mains du miracle
de joie.
— Comme je suis heureux de vous
entendre, dit-il. Et vous ne serez jamais aussi bien qu’en Allemagne et à
Hartzwalde. Passez-moi votre mari, je vous prie.
Kersten reprit l’écouteur. Himmler
lui dit avec la plus vive amitié :
— Kaltenbrunner m’avait fait
peur. Il assure que vous avez retenu un appartement à Stockholm.
— C’est vrai, dit Kersten. Un
appartement est beaucoup moins cher que l’hôtel.
— Évidemment ! s’écria
Himmler. Votre femme est là, et je me moque bien des calomnies de
Kaltenbrunner.
Deux jours plus tard, Kersten était
déjà mandé à Hochwald auprès de Himmler très malade.
Dans les séjours qu’il était forcé
de faire en Prusse-Orientale, Himmler habitait un baraquement primitif sans
aucun confort, bâti à quelques mètres de la voie ferrée, au milieu d’un paysage
sinistre. Même quand le Reichsführer était en bonne santé, cette ambiance
agissait sur lui d’une façon déprimante. En état de crise, il était doublement
malade. Kersten résolut d’utiliser ces conditions favorables à son influence
pour passer enfin à l’exécution du plan qu’il avait arrêté avec le ministre des
Affaires étrangères de Suède.
Il attaqua dès le premier matin du
traitement.
Himmler, couvert de l’une de ses
longues chemises de nuit blanches, était couché sous un triste plafond où
saillaient les poutres mal équarries, dans un lit très étroit, et très dur,
fabriqué en bois grossier par des soldats.
Le docteur s’assit à son chevet sur
une chaise de fortune.
Tel était le décor, telle était la
situation respective de ces deux hommes à l’instant où ils engageaient un débat
qui devait décider de tant de vies.
Tout en pétrissant les nerfs
douloureux du Reichsführer, le docteur dit d’un air détaché :
— Je commence à croire, après
le débarquement des Alliés, que la guerre ne finira pas comme vous le prévoyez.
— Impossible ! s’écria
Himmler.
— On verra cela bientôt, dit
Kersten. Mais en tout cas, vous devriez songer au nombre de non-combattants que
cette guerre a déjà dévorés dans vos camps de concentration. Quel bien cela
peut-il vous faire ? Et, cependant, vous êtes en train de tuer dans ces
mêmes camps les derniers survivants de races germaniques : norvégiens,
danois, hollandais. Vous appauvrissez, vous détruisez votre propre sang.
L’argument était tiré de la doctrine
même que professait Himmler. Aussi, Kersten avait-il choisi de ne parler
d’abord que d’un groupe spécifique de prisonniers.
— D’accord, dit Himmler. Mais
ces gens se sont mis contre nous.
— Vous êtes l’un des grands
chefs germaniques et l’une des grandes intelligences de ce monde, dit Kersten
(la vanité heureuse réchauffa pour un instant les pommettes jaunes et
saillantes du Reichsführer). Servez-vous de cette grandeur, montrez cette
intelligence. Libérez autant qu’il vous est possible de Hollandais, Danois,
Norvégiens. Vous sauverez ainsi ce qui reste des peuples de votre race.
— Cette idée est juste,
répondit Himmler. Mais comment puis-je en parler à Hitler ? Un seul mot le
jettera dans une colère terrible.
— C’est vous qui êtes l’homme
le plus puissant en Allemagne, dit Kersten. Pourquoi toujours penser à
Hitler ?
— Il est le Führer.
Kersten avança son visage vers celui
de son patient, affermit ses mains sur le ventre de son malade et dit, sans
changer de voix :
— Une division de vos Waffen
S.S. à Berchtesgaden et c’est vous qui devenez le Führer et bien supérieur à
Hitler.
D’un geste qu’il ne lui était jamais
arrivé de faire, Himmler saisit les poignets du docteur, arrêta le traitement.
— Pensez-vous, pensez-vous
vraiment ce que vous dites ? cria-t-il. Moi, aller contre mon
Führer ? Mais il représente ce qu’il y a de plus haut pour nous autres
Allemands ! Vous connaissez bien les mots gravés sur la boucle de mon
ceinturon : « Ma fidélité est mon honneur. »
— Changez la boucle, dit
Kersten, et tout est réglé.
— Cher monsieur Kersten, je
vous ai une reconnaissance infinie et je vous tiens pour mon seul ami, dit
Himmler avec émotion. Mais ne parlez plus jamais de la sorte. La fidélité est
un sentiment sacré : je l’enseigne chaque jour à mes soldats.
Kersten redressa son torse massif,
l’assura sur la chaise mal rembourrée.
— La fidélité n’est plus la
fidélité, quand, du service d’un homme sain, elle
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