Les Mains du miracle
lui, est en ce
moment dans sa chambre et le voit en chemise de nuit.
Dans cette même chambre, Himmler, ayant
reposé l’écouteur, dit à Kersten :
— Hé bien, votre volonté est
faite. (Il se toucha l’estomac.) Mais je vais beaucoup mieux.
Himmler regagna son lit, s’étira,
bâilla légèrement. Il était bien, si bien… Pourtant, il avait le sentiment que,
cette fois, sa faiblesse envers Kersten avait été trop loin.
— Vous savez, dit-il, je
regrette chaque jour de n’avoir pas déporté ce peuple de traîtres en 1941,
comme il était prévu. Si je l’avais fait, toutes ces questions ne se poseraient
point.
— Rappelez-vous combien vous
étiez malade, dit Kersten. Gela vous était physiquement impossible.
— Peut-être, peut-être, murmura
Himmler.
Il s’accouda sur l’oreiller et ses
yeux gris sombre se fixèrent sur le visage de Kersten. Il dit :
— Je me le demande
parfois : auriez-vous eu la même attitude si, au lieu de Hollandais, il
s’était agi de Hongrois ou de Turcs ?
Kersten répondit paisiblement :
— Ma conscience est tranquille.
Mais, vous, seriez-vous en train de douter de moi ?
— Oh non, je vous assure, non,
dit Himmler. Excusez-moi. C’est la fatigue. Il est tard. C’est uniquement la
fatigue. Vous voyez bien quelle est ma reconnaissance pour vous, puisque je
viens, ce soir, de vous faire cadeau de ces douze hommes.
— C’est juste, Reichsführer,
dit Kersten en s’inclinant un peu. Et vous pouvez dormir en paix. Bonne nuit,
Reichsführer.
— Bonne nuit, cher monsieur
Kersten.
Comme le docteur atteignait la
porte, Himmler le rappela pour lui dire :
— Seyss-Inquart m’a donné
quelques fruits et quelques friandises. Partageons.
Sans se faire prier davantage,
Kersten emporta six pommes et six tablettes de chocolat.
10
Le lendemain, Kersten fit honneur à
une promesse dont il avait bien cru qu’il ne pourrait jamais la tenir : il
alla voir Thurkow dans sa maison de Wassenaar. Un peu après, arriva Beaufort
qui remit au docteur trois grosses enveloppes cachetées et bourrées de papiers
à destination de Londres, via Stockholm.
Deux jours plus tard, le
5 février, il était assis à côté de Himmler dans l’avion personnel de ce
dernier qui volait vers Berlin. Devant eux étaient posées leurs valises, de même
dimension, de même poids. Comme jumelles. Et toutes deux contenaient des
documents de première importance. Dans celle de Himmler, il y avait les papiers
que lui avait remis la Gestapo de Hollande pour décision suprême. Dans celle de
Kersten reposaient les plis du courrier de la Résistance hollandaise,
impitoyablement traquée par cette même Gestapo.
Le temps était beau, le vent modéré.
Le voyage se fit sans histoire.
Kersten rangea les enveloppes que lui
avait confiées Beaufort dans un tiroir de sa maison de campagne, en attendant
de les emmener à Stockholm.
11
Le docteur passa encore quelques
semaines à bien fixer ses repères pour le projet élaboré par le ministre des
Affaires étrangères suédois et à reconnaître définitivement ses alliés, ses
ennemis et leur puissance respective.
À Himmler, il ne cita aucun nom, ne
formula aucun plan, aucun chiffre. Il dit seulement, d’une façon aussi vague
que sentimentale, combien serait noble et grand un chef germanique s’il se
montrait pitoyable envers les plus malheureuses victimes des camps de
concentration.
Le comportement de Himmler fut aussi
prudent que l’avait été l’approche de Kersten. Il ne protesta point, mais
n’approuva pas davantage. Il ne dit ni oui, ni non. Il se contenta d’écouter en
hochant la tête.
Mais, pour l’instant, Kersten ne
demandait rien de plus. La porte des négociations était entrebâillée. Le reste
viendrait ensuite.
Alors, sous le même prétexte que la
première fois – soigner les mutilés finlandais qu’hospitalisait la
Croix-Rouge suédoise – Kersten demanda la permission de se rendre de
nouveau à Stockholm. Himmler, cette fois, ne discuta point.
— Je suis d’accord, dit-il,
mais n’oubliez pas de revenir.
Et, voyant l’expression de reproche
et de chagrin que prenait le visage du docteur, il s’écria, sans même lui
laisser le temps de les manifester en paroles :
— Oh pardon, pardon, cher, cher
monsieur Kersten ! Les mauvaises habitudes que m’ont données ceux qui
m’entourent m’ont fait parler sans réfléchir. Si seulement je pouvais avoir
confiance en tout le
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