Les Mains du miracle
réussite.
Mais Himmler fut brusquement appelé
par Hitler à Berchtesgaden, son repaire et son sanctuaire des Alpes bavaroises.
Le Reichsführer y retrouva son idole au cœur du Saint des Saints. Kersten ne
parvint plus à faire le moindre progrès vers son but. Sans refuser vraiment,
Himmler se dérobait à la discussion.
Enfin, vers la mi-juillet,
accompagné du docteur, il reprit le chemin de Hochwald. Dès Berlin, où ils
s’arrêtèrent quelques jours, Kersten eut l’impression que ses arguments
portaient de nouveau, mordaient, pour ainsi dire, sur Himmler, délivré de
l’envoûtement sous lequel le tenait son maître. Schellenberg, dans la capitale,
aida le docteur d’une manière adroite, discrète, efficace.
Mais il fallut arriver en
Prusse-Orientale pour que Kersten sentît son malade retomber, littéralement,
entre ses mains. Il fut même surpris de voir quel chemin avait fait dans
l’esprit de Himmler l’idée qu’il s’était efforcé de lui imposer avec une
persévérance quotidienne.
Le 20 juillet 1944, au
début du traitement, Himmler dit de lui-même au docteur :
— Je pense que vous avez
raison. Nous ne devons pas exterminer tout le monde. Il faut se montrer
généreux envers la race germanique.
— Reichsführer, s’écria
Kersten, j’ai toujours su que vous étiez un chef prestigieux… Comme Henri
l’Oiseleur.
Dans la chambre sinistre où le
docteur soignait Himmler, sa voix résonnait, grave, émue, pénétrée. Cela ne lui
était pas difficile. En parlant, il voyait Hollandais, Norvégiens et Danois
quitter par milliers les lieux de mort. Sur son lit de bois grossier, le
Reichsführer sourit béatement à la louange qui le touchait le plus. Il
répéta :
— Oui, je dois être généreux
envers la race germanique.
Kersten, alors, demanda avec
douceur :
— Et les Français,
Reichsführer ? Les Français dont vous avez un si grand nombre dans nos
camps de concentration ? Ne voulez-vous pas entrer dans l’Histoire comme
le sauveur magnifique d’un grand peuple, d’une haute et noble culture ?
Himmler ne répondit rien et Kersten
n’insista pas. Ce silence même justifiait tous les espoirs.
Quand le docteur quitta la chambre
du Reichsführer, le succès de la grande entreprise ne faisait pour lui plus de
doute. Il calculait déjà la date de son prochain voyage à Stockholm pour y
rapporter la réponse favorable de Himmler.
2
Kersten célébra ces perspectives par
un énorme repas au mess du Q.G. Ensuite, la chaleur de juillet aidant, il alla
faire une sieste.
Son profond sommeil fut interrompu
par le chauffeur de Himmler. Le soldat S.S. entra chez lui comme un fou et
hurla :
— Debout, docteur,
debout ! Il y a eu un attentat épouvantable. Mais le Führer est vivant.
Mal réveillé et sans rien comprendre
à ces cris, Kersten voulut interroger le chauffeur. Celui-ci avait déjà
disparu, laissant la porte grande ouverte. Kersten bâilla, mit ses vêtements,
ses chaussures et se dirigea vers le baraquement de Himmler. Il le trouva
debout devant sa table de travail, occupé à feuilleter fébrilement fiches et
dossiers.
— Que se passe-t-il ?
demanda le docteur.
Himmler répondit rapidement, sans
presque desserrer les lèvres :
— On a essayé de tuer le Führer
à son Q. G… Une bombe…
Le Grand Quartier de Hitler se
trouvait à quarante kilomètres de celui de Himmler. Voilà pourquoi, pensa
Kersten, on n’avait pas entendu l’explosion à Hochwald.
Le Reichsführer continuait de trier
en hâte des documents.
— J’ai l’ordre, dit-il, d’arrêter
deux mille officiers.
— Il y a tant de
coupables ? s’écria Kersten. Et vous les connaissez tous !
— Non, dit Himmler. L’auteur de
l’attentat est un colonel. C’est pourquoi j’ai l’ordre formel d’arrêter deux
mille officiers et je vais l’exécuter.
Himmler détacha des papiers qu’il
examinait un dossier et le porta vers le coin de la pièce où se trouvait un
appareil de forme singulière. Kersten en connaissait l’usage… C’était une
machine destinée à déchiqueter, pulvériser et dissoudre les documents superflus.
Himmler y entassa la liasse qu’il tenait et pressa un bouton. L’appareil se mit
en marche.
— Que faites-vous ?
demanda Kersten.
— Je détruis notre
correspondance de Stockholm… on ne sait jamais…, dit le Reichsführer.
Dans ce geste, dans cette peur, Kersten
vit en une seconde tous ses efforts, tous ses espoirs
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