Les mannequins nus
n’avait pas de question à se poser, surtout lorsqu’il était un officier S.S. « Führer ordonne, nous te suivons » signifiait pour nous beaucoup plus qu’une simple formule, qu’un slogan. Pour nous, ces paroles avaient valeur d’engagement solennel. Après mon arrestation, on m’a fait remarquer à maintes reprises que j’aurais pu me refuser à l’exécution de cet ordre ou même, le cas échéant, abattre Himmler. Je ne crois pas qu’une idée semblable ait pu effleurer l’esprit d’un seul parmi les milliers d’officiers S.S. C’était une chose impossible, impensable. Il y a certes beaucoup de cas où des officiers S.S. ont critiqué tel ordre particulièrement sévère d’Himmler ; ils ont protesté, grogné, mais pas un seul cas où ils se soient refusés à obéir.
— Parmi les officiers S.S. nombreux étaient ceux que la dureté implacable d’Himmler avait blessés, mais je suis fermement convaincu qu’aucun d’entre eux n’aurait osé lever la main sur lui ; même dans leurs pensées les plus intimes, ils auraient reculé devant un tel acte. En sa qualité de Reichsführer S.S., Himmler était « intouchable ». Les ordres qu’il donnait au nom du Führer étaient sacrés. Nous n’avions pas à réfléchir ou à rechercher des interprétations plus ou moins plausibles. Nous n’avions qu’à en tirer les dernières conséquences même en sacrifiant sciemment notre vie, comme beaucoup d’officiers S.S. l’ont fait pendant la guerre.
— Ce n’est pas en vain que les cours d’entraînement pour S.S. nous offraient les Japonais comme un lumineux exemple du sacrifice total à l’État et à un empereur d’essence divine.
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Rudolf Hoess ne disposait que de quatre semaines pour établir son projet d’usine de mort… un combinat exceptionnel, « révolutionnaire », capable de dissoudre la première année un million de corps, la seconde deux millions.
— Je (17) me rendis à Treblinka pour voir comment se déroulaient les opérations d’extermination. Le commandant du camp me dit qu’il avait « liquidé » 80 000 détenus en six mois. Il s’occupait plus particulièrement des Juifs du Ghetto de Varsovie. Il utilisait l’oxyde de carbone et ses méthodes ne me parurent pas très efficaces.
Hoess fit procéder à diverses expériences dans le silence des bunkers et de l’infirmerie. Ces essais – injections dans le cœur de phénol, d’essence, d’eau oxygénée – devaient répondre à cette seule question : combien faut-il de temps à un être humain pour mourir ? Eichmann consulté développa longuement les bienfaits de l’oxyde de carbone dégagé par un moteur de sous-marin. Hoess se replongea dans ses calculs. Combien de moteurs lui faudrait-il ? Le 28 juillet, 575 détenus « invalides » furent conduits à Königstein. Le lieutenant Hössler devait rendre compte minutieusement à Hoess du déroulement de l’action. Les malades, séparés en six groupes par les infirmiers de l’asile psychiatrique, reçurent un copieux repas dans le réfectoire et attendirent… le dernier groupe ne fut gazé dans la salle de douches que cinquante-deux heures plus tard. Pour atteindre les objectifs fixés par Himmler, Hoess conclut qu’il devait faire construire une cinquantaine de hangars à douches et récupérer cinquante moteurs… ce qui lui sembla impossible.
Le 1 er septembre, Hoess déprimé s’accorde une semaine de permission. Son suppléant, le Schutzhaftlagerführer Fritzch découvre dans les réserves de la salle de désinfection des boîtes de cyclon B. Cet insecticide est utilisé depuis le début de la guerre par les troupes en campagne et l’inspection Générale des Camps en a fait livrer à tous ses commandants. À Oranienburg, par exemple, le cyclon B sert à la désinfection des vêtements. Fritzch, après avoir expérimenté quelques granulés de cyclon sur deux lapins enfermés dans une boîte hermétique décide de passer à l’homme (18) .
Le 2 septembre, les bunkers du block 11 sont évacués. Une corvée de douze détenus élève devant chaque fenêtre une butte de terre. Des lanières découpées dans des couvertures militaires sont clouées sur les cadres, les feuillures et à l’intérieur des couvre-joints de toutes les portes. Serrures et fentes sont enduites de colle à bois ou de cire à cachet.
Une rafle rapide dans les allées encombrées du Revier rassemble 250 malades. Fritzch veut mille
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