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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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divers groupes de détenus, selon les ordres d’Himmler ou de tel autre dirigeant de l’administration policière. Désormais, j’étais rassuré : nous n’assisterions plus à ces « bains de sang » et jusqu’au dernier moment l’angoisse serait épargnée aux victimes. Or, c’est cela qui m’inquiétait le plus lorsque je pensais aux descriptions que m’avait faites Eichmann du massacre des Juifs par les « commandos opérationnels » au moyen de mitrailleuses ou de carabines automatiques. Des scènes épouvantables s’étaient déroulées à ces occasions : des blessés s’enfuyaient ; on en achevait d’autres, surtout des femmes et des enfants ; des soldats du commando, incapables de supporter ces horreurs, se suicidaient, devenaient fous, tandis que la majorité avait recours à l’alcool pour effacer le souvenir de leur effroyable besogne.
    La découverte de Fritzch comblait les espérances de Hoess. Il pourrait désormais concrétiser les désirs les plus « irréalisables » du Bureau des Affaires Juives. Tout le reste : aménagement des fermes du secteur Birkenau en chambres à gaz, construction de crématoires, n’était plus qu’une question de temps et de crédits…

4

AUSCHWITZ, CAMP DE FEMMES
    Le 26 mars 1942, alors que fonctionnent depuis déjà quatre mois les deux premières chambres à gaz d’Auschwitz, un convoi inhabituel s’immobilise sur la rampe. Le cordon de sentinelles ne se compose que d’une dizaine de S.S., arme à la bretelle. Les portes des wagons glissent ; des femmes sautent sur le quai. Des femmes jeunes, convoyées par d’autres femmes jeunes installées dans les compartiments d’un wagon de voyageurs.
    — On (21) nous avait envoyé de Ravensbrück, à ce qu’il me semble, le rebut de l’humanité. Ces femmes surpassaient de loin leurs homologues masculins en vulgarité, en bassesse et en avilissement. C’étaient, pour la plupart, des filles qui avaient déjà purgé de longues peines de prison. Ces bêtes féroces devaient inévitablement assouvir leurs mauvais penchants sur les détenues qu’elles devaient surveiller. Or, Himmler lui-même avait indiqué, lors de sa visite à Auschwitz en 1942, qu’il les considérait comme particulièrement désignées pour l’emploi de Kapo auprès des femmes juives. Presque toutes ces filles ont survécu à la détention, à moins d’avoir été victimes d’une épidémie. Pour elles, les souffrances morales n’existaient pas.
    — J’ai (22) fait partie de ce fameux convoi. On nous avait dit que nous fonderions un nouveau camp de femmes plus important que Ravensbrück, où nous serions mieux traitées et surtout mieux nourries. Notre surveillante chef ajouta même : « Vous serez chargées de faire filer doux les Juives d’Europe. Elles seront à votre service. » Je ne veux pas parler de cette période de ma vie. Ce ne fut qu’un combat permanent pour ne pas capituler. Ce ne fut ni propre, ni honnête. J’ai volé, j’ai fait condamner mais je n’ai pas tué. Ça, je n’aurais pas pu le faire. Beaucoup de mes camarades n’ont pas hésité à tuer. Qui n’a pas connu Auschwitz et surtout Birkenau, ne peut comprendre.
    Le soir même, mille déportées transférées de prisons polonaises, découvraient Auschwitz… Auschwitz camp de femmes venait de naître.
    *
*   *
    — Nous (23) sommes parties 70 femmes le 22 juin 1942, « libérées » du camp des Tourelles pour être déportées. Destination inconnue. Après trois jours d’un voyage harassant, nous sommes arrivées à Auschwitz. Nous nous sommes trouvées perdues au milieu de 7 000 femmes allemandes, polonaises, slovaques, juives ou « aryennes » qui, en général, ne savaient pas un mot de français. Tout de suite, nous avons été soumises au régime du camp, dépouillées de tous nos vêtements, vêtues de vieux uniformes russes, tondues ; nous avons dû, dès le premier jour, subir l’appel interminable sous la garde de codétenues aidant les S.S. à appliquer une discipline stricte, imbécile et inhumaine.
    — Après une courte nuit passée sur des châlits où une paillasse pourrie nous servait de couchage, nous avons été rassemblées pour partir au travail. Lorsque, après une longue station debout, enfin mises en rangs, agglomérées à un kommando, nous pensions que notre colonne allait se mettre en marche, il fallut encore enlever les mauvais souliers qu’on nous avait donnés à l’arrivée. Oh !

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