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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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au block 25. À l’appel, des S.S. spécialement affectés à ce genre de travail nous passaient minutieusement en revue et emmenaient avec eux celles qui avaient l’air fatigué, celles qui étaient trop laides, celles qui avaient un bouton à la figure, et, surtout, celles qui avaient les jambes enflées. Il semblait d’ailleurs y avoir un mot d’ordre ; certains jours, c’étaient les boutons sur la figure qui étaient impardonnables, certains autres jours, c’étaient les boutons sur le corps, mais le caractère : jambes enflées, était presque toujours en vigueur. C’était aussi à la porte que se faisait le choix des condamnées, en partant ou en rentrant du travail. Je me souviens encore de cette femme qui marchait dans le rang derrière le mien, bien au milieu parce qu’elle se savait en danger. Et j’entends encore ses cris lorsque la gardienne l’eût fait tomber avec la crosse de sa canne qu’elle avait accrochée aux jambes de sa victime. Une fois qu’elle fut à terre un chien fut lancé et bien vite, elle fut projetée dans la direction d’un groupe de femmes déjà choisies et que nous n’avions pas remarqué tout d’abord.
    — Et presque chaque jour, des cérémonies semblables se renouvelèrent. Quelquefois, on avait une semaine de répit et puis cela recommençait. Le soir lorsque je rentrais, c’était une angoisse intolérable. Laquelle manquerait le soir à la réunion de notre petit groupe ? Les premiers jours, à force de nous réconforter mutuellement, nous tînmes bon. Mais les conditions sanitaires se dégradèrent, les poux pullulaient. Les blocks n’étaient plus qu’amas d’excréments. La soif poussait les femmes à s’accroupir pour boire toute flaque, même polluée. Et c’est ainsi que Josette contracta une fièvre qui la fit délirer. Ses forces déclinèrent. Nous l’avons poussée pourtant à sortir pour le travail, pensant que c’était moins dangereux. Elle s’est trouvée mal, juste devant le petit groupe de S.S. qui constituait le tribunal martial. Son sort fut vite réglé. Le soir, les autres n’osaient pas me le raconter parce qu’on savait que c’était ma préférée. Une gamine de vingt ans, grande, blonde, belle comme sait l’être une Parisienne. Le soir, j’ai tout tenté pour lui dire adieu, mais sans y réussir. Ensuite, ce fut Yvonne, puis Janine, Odette, Andrée. Enfin, elles y sont toutes passées. Toutes celles de notre groupe comme celles du groupe voisin. Et, pourtant, celles-là, soutenues par leur idéal politique, semblaient inexpugnables. Mais, on a beau avoir un bon moral, on ne résiste pas aux hommes armés, aux chiens qui conduisent des femmes à la mort.
    — Et quand, miraculeusement pour moi, mon kommando a quitté Birkenau pour une cave aérée où vivaient déjà quelques compagnes dont les S.S. avaient besoin pour un but quelconque (bureau, ménage, etc.), il ne restait plus que la petite doctoresse qui, elle aussi, devait succomber au typhus quelques jours plus tard.

5

LES MARAIS
    Kommando.
    Kommandos.
    Pelle. Pioche. Bêche. Mains. Pieds. Seaux. Boîtes rouillées…
    Encore un mètre.
    Prendre de la terre là.
    Noyer cette terre dans les flaques. Creuser un canal. Creuser des canaux. Gagner un mètre, des dizaines, des centaines d’autres mètres pour que Auschwitz soit plus grand, soit plus beau, soit plus sain. Gagner un mètre de territoire sur la fange, la boue. Oublier les marais. Effacer les marais.
    Les femmes chantent. Yeux fermés.
    Loin vers l’infini s’étendent les grands prés marécageux.
    Pas un seul oiseau ne chante dans les arbres secs et creux.
    Ô Terre de détresse, où nous devons sans cesse piocher… Piocher.
    — Le kommando (26) des Françaises fut amené à Harmensee, près d’Auschwitz, pour dessécher le lac. Cette fois nous fûmes forcées d’extirper des plantes du fond du lac ; en nous tenant debout, l’eau nous montait jusqu’aux genoux. Ce fut un travail très pénible, car, même en travaillant six à la fois, nous étions incapables de remuer une seule plante de cette espèce. Dans ce travail nous étions surveillées par un Kommandoführer, jeune S.S. qui portait une cravache de cuir très fin et qui s’amusait à nous cingler les épaules avec férocité. Je l’observais. Quand je le voyais tourner son regard de mon côté, je me penchais sur mon travail. Il choisit parmi nous une victime, une Hollandaise enceinte. Quand, interrogée par lui, elle lui

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