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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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répondit qu’elle en était au quatrième mois de grossesse, il lui ordonna de tirer de l’eau une plante énorme. En voyant à quel point il lui était pénible de se pencher, nous voulions lui venir en aide. Il ne le permit pas, et sa cravache recommença à se promener sur nos épaules. Il lui ordonna de continuer son travail et chaque fois il recommençait à la battre d’une façon effroyable. À côté de moi se tenait un jeune Polonais kapo, en train d’observer cette scène ; à ma remarque que ce travail convenait plutôt aux hommes qu’aux femmes, il me répondit : « Ce travail ne conviendrait même pas à des hommes, mais à des chevaux. »
    — Le jeune S.S. continuait toujours à battre la pauvre Hollandaise qui chancelait, tout étourdie. Avec de l’angoisse aux yeux et de la peine au cœur, nous étions obligées d’observer cette scène terrible, tout en étant impuissantes à venir en aide à notre pauvre camarade. Toute sanglante, il lui fut ordonné par le S.S. d’aller chercher de l’eau à l’endroit qui nous était généralement interdit, où elle fut fusillée sur place par son bourreau. Ensuite le S.S. communiqua à la Kapo : « Encore une de tuée pendant sa tentative de fuite. » Combien triste fut notre chemin de retour, car nous traînions ce cadavre. Le soir, nous fûmes incapables d’avaler notre maigre soupe et nous nous mîmes au lit sans prononcer une parole.
    *
*   *
    Loin vers l’infini s’étendent les grands prés marécageux.
    Pas un seul oiseau ne chante dans les arbres secs et creux.
    Ô Terre de détresse, où nous devons sans cesse
    Piocher… Piocher.
    Dans ce camp morne et sauvage, entouré de murs de fer,
    Il nous semble vivre en cage au milieu d’un grand désert.
    Ô Terre de détresse, où nous devons sans cesse
    Piocher… Piocher.
    Bruits de chaînes, bruits des armes, sentinelles jour et nuit
    Des cris, des pleurs et des larmes, la mort pour celui qui fuit.
    Ô Terre de détresse, où nous devons sans cesse
    Piocher… Piocher.
    Mais un jour dans notre vie, le printemps refleurira
    Libre, alors, ô ma Patrie, je dirai : Tu es à moi
    Ô Terre enfin libre où nous pourrons revivre
    Aimer… Aimer…
    *
*   *
    Kommando.
    Kommandos.
    Gagner un mètre. Effacer les marais. Oublier les marais. Chanter les marais. Le chant des marais.
    — C’est l’hymne d’Auschwitz ?
    — Je ne sais pas ! On l’a toujours chanté ici. Parfois on l’interdit. Alors on se le murmure pour soi, à l’intérieur. C’est notre chant. Le chant des femmes. Les hommes aussi le chantent…
    — Loin vers l’infini s’étendent…
    — Il a sûrement été composé ici. C’est tellement Auschwitz. Mais on m’a dit que les femmes de Ravensbrück le chantaient aussi. Le plus étrange c’est que toutes les nationalités le chantent. Les traductions sont un peu différentes.
    Oui, le chant des marais c’est Auschwitz. Mais c’est aussi Dachau, Buchenwald, Oranienburg, Mauthausen. Il appartient à tous les camps. Même les déportés qui fichent les barres à mine dans les murs du tunnel de Dora le connaissent. Tristesse et espoir. Le chant des marais c’est l’hymne des déportés. Des déportés de tous les camps. De tous les déportés. Rares sont ceux qui connaissent son histoire.
    — Nous (27) ne sommes qu’en 1934. Dans l’un des camps de l’Emsland, appelé le K.Z. Borgermoor où les détenus politiques allemands travaillent à l’assèchement de marais, va naître un chant qui franchira les frontières et survivra à la tragédie. Ce chant prendra une telle ampleur, connaîtra un si grand retentissement que ceux-là mêmes qui l’adopteront plus tard, tel un hymne à l’échelle de la déportation tout entière, en oublieront la lointaine origine.
    — À Borgermoor, en été 1934, les S.S. soumettent les détenus politiques allemands à toutes sortes de brimades, de vexations, de sévices, et cela dans un but bien précis : atteindre le moral de leurs victimes, pour mieux les avilir, et les déshumaniser. Les bagnards du marais, comme ceux des autres K.Z., en ont parfaitement conscience et ils ont la volonté de résister. Par tous les moyens en leur pouvoir, ils vont s’efforcer de vaincre ce danger, à leurs yeux, le plus grand, pire que la mort qui les emportera pour la plupart. Ils sauront d’abord s’entraider mutuellement, mener une action solidaire en évitant les pièges, les mouchards glissés parmi eux par les S.S. et,

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