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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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sur nos perchoirs. Ce petit jeu avait lieu souvent trois et quatre fois de suite. Nos gardiennes exaspérées de nous voir au repos forcé nous accablaient d’insultes, nous traitant de « paresseuses ».
    C’est à peu près à cette date que notre block changea de blockowa. Mes chères compagnes du block 31, comme moi, je suis sûre que vous la revoyez encore… C’était une jeune Polonaise de 20 ans au plus, blonde et enfantine. Notre première blockowa employait une espèce de cravache douloureuse mais pas meurtrière ; la petite Polonaise considérait, elle, que pour des criminelles de notre espèce, la cravache était une preuve de coupable indulgence. Elle utilisait un gourdin énorme et rigide ; avec cela, elle pouvait au moins s’amuser un peu. Souvent d’ailleurs, elle méprisait cet accessoire et utilisait simplement ses petits poings… redoutables. Elle trouva que donner une ration normale de soupe à des « Schwein » (cochonnes) qui ne travaillaient pas était de la folie. Elle inventa donc la gamelle unique ; nous recevions une gamelle pour cinq femmes, ce qui faisait exactement huit cuillerées de soupe pour 21 heures, mais ces huit cuillerées mangées tranquillement, c’eut été trop doux, et cette gamelle unique donnait lieu à de terribles batailles durant lesquelles la pauvre gamelle se renversait presque chaque fois.
    À ce régime, notre faiblesse devint si grande que nous n’arrivions plus à descendre des coyas. Alors je me souviens que deux courageuses petites Françaises, qui parlaient allemand, décidèrent d’aller la trouver et de lui expliquer qu’avec huit cuillères de soupe par jour il était impossible de vivre… D’autres Françaises se joignirent à elles et à cinq ou six allèrent trouver notre petit monstre. Celle-ci les laissa parler. Quand elles eurent fini leur exposé, elle saisit les deux premières qui étaient venues à elle, les roua de coups avec une telle force que nous pensions qu’elle allait les tuer ; puis elle leur ordonna de se mettre à genoux, les bras tendus et, dans chaque main, elle leur mit un lourd tabouret. Elle réclama le silence et commença un long discours. On me le traduisit. Elle nous raconta son arrivée au camp, il y a trois ans, les tortures qu’elle avait subies et elle acheva à peu près par ces mots : « — Pendant ce temps, cochonnes de Françaises, vous buviez du champagne, eh bien, maintenant, c’est vous qui crèverez ici, et moi, la guerre finie, j’irai aux Champs-Élysées… »
    Brusquement je compris que j’avais la scarlatine. Depuis deux jours, un affreux mal de gorge ne me quittait pas et je sentais une fièvre brûlante m’envahir. À l’appel, je devais faire un grand effort pour tenir debout et surtout pour dissimuler ces symptômes à mes compagnes, même à mes meilleures amies, car j’avais la terreur d’être dénoncée par peur de la contagion et j’avais décidé, si c’était possible, d’avoir ma scarlatine au block ; surtout de ne pas aller au Revier !
    Je ne pouvais même plus avaler la soupe. Aucune rougeur n’était encore apparue. J’avais reçu un coup violent sur le sein. Un énorme abcès s’était formé… Je fus donc obligée d’aller à l’ambulance. J’y allai sans inquiétude, sachant qu’aucun signe extérieur ne décelait la scarlatine. J’avais évité, par ruse, les examens de la gorge faits dans le block, mais au moment même où l’infirmière découvrait mon sein, l’éruption monta. Immédiatement je fus mise de côté. Quand le médecin allemand arriva, il eut vite fait de diagnostiquer la maladie. Quel terrible moment ! Tout s’écroulait pour moi. Il fallait quitter mes amies. Les quitter pour toujours. Après le Revier, c’était directement le kommando, sans la moindre chance de les retrouver.
    J’étais allée ce jour-là à l’ambulance avec deux de mes meilleures compagnes, car nous nous quittions le moins possible, vivant dans la terreur de la séparation. Je n’ai même pas eu le temps de leur dire au revoir. Brusquement, je fus précipitée dans la salle, déshabillée, plongée dans une cuvette souillée dans laquelle s’était lavée avant moi une typhique, puis, toujours nue, je pénétrai pour la première fois dans un Revier. C’était un block à peu près comme les autres, les lits étaient de deux personnes seulement ; soudain, je me trouvai allongée à côté d’une inconnue, entourée d’étrangères sans

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