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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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d’une propreté impeccable, des draps roses recouvraient sa paillasse. Elle était revêtue d’une ravissante chemise de nuit. De plus, notre « gardienne infirmière » ne l’insultait pas. Je n’ai pas tardé à avoir l’explication de ce mystère…
    Eva était une délicieuse petite parisienne, jolie et gaie, qui n’avait pas 20 ans. Comme je la vois encore aujourd’hui ! Comme je me souviens encore de nos interminables conversations coupées par les « silence » des gardiennes ! C’était pendant ces nuits du Revier. Le manque d’air était intolérable. Les punaises nous dévoraient et nous étions obligées de glisser des rouleaux de papier dans les oreilles pour éviter que ces demoiselles ne se promènent dans nos conduits auditifs. Alors j’entendais :
    « — Françoise, tu ne dors pas ?
    « — Non !
    « — Moi non plus. Écoute… Je vais te raconter des choses, donne-moi ton avis… »
    Et c’étaient de délicieuses histoires de flirt, de swing, de Paris, des :
    « — Crois-tu qu’il m’aimait vraiment ? »
    « — Crois-tu que je le reverrai ? »
    Ou bien :
    « — Cette année-là, j’avais un tailleur gris ravissant. »
    « — Ce merveilleux civet que maman réussissait si bien… »
    J’écoutais. Je répondais. J’imaginais l’amoureux, le tailleur. L’arrestation d’Eva avait été le résultat d’une folie, d’un coup de tête.
    « — Tu comprends, maman m’avait interdit de sortir ; mais il me plaisait tant ! Il fallait que j’aille le retrouver. Et puis, en sortant du cinéma place de l’Étoile : un barrage, une rafle, les faux papiers. Le flirt s’était enfui. »
    Eva était arrivée bien avant moi en plein hiver, elle avait fait les plus durs kommandos et elle allait mourir comme les autres, puis, un miracle, elle avait été choisie pour le nouveau kommando de Brzezinka. Elle essayait une description fantastique et impossible : « — C’est à trois kilomètres de vous, on entre par une grande porte, un peu comme au Bois de Boulogne. C’est vert, joli, il y a des arbres, des fleurs même, et puis un peu plus loin, dissimulés dans les haies, les deux crématoires principaux, la plus grande chambre à gaz. Depuis quelque temps, les convois arrivent tous à Brzezinka. Notre kommando est formé d’une équipe de filles jeunes et jolies pour la plupart. Nous voyons arriver tous les convois. Certaines d’entre nous déshabillent les enfants AVANT et une fois « tout » terminé, notre fonction est de classer, nettoyer, étiqueter les vêtements contenus dans les bagages des condamnés, pour les expédier en Allemagne. C’est une véritable industrie, merveilleusement organisée : tout est classé par catégorie, âge, désignation. On a trouvé les plus beaux bijoux, les plus somptueuses fourrures et de l’argent, tant d’argent dissimulé parfois dans les petits manteaux de bébés, suprême tentative des malheureux qui espéraient ainsi faire des échanges, pouvoir vivre. Bien entendu, nous risquions la mort si nous essayions de dérober quoi que ce soit. Au point de vue matériel, ce kommando est exceptionnel. Nous avons le droit de choisir nos robes, d’avoir du linge fin et propre, prélevé bien entendu à la même source, d’aller à la douche tous les jours, nos blocks confortables et surtout, surtout, nous mangeons. Nous mangeons de tout, tout ce qui est trouvé dans les convois : beurre, confiture, saucisson, nous jetons le lard bien souvent… »
    J’écoutais les yeux exorbités en pensant qu’à trois kilomètres on jetait le lard…
    « — Ce qui est affreux, continuait Eva, c’est que notre confort dépend de l’arrivée des convois… Oui, matériellement, c’est vivable, mais moralement… moralement c’est à peine supportable. Beaucoup de femmes sont devenues folles, et l’espoir, cet espoir que vous prétendez ne plus avoir, vous autres en quarantaine ou dans les pires kommandos, il en reste toujours un soupçon, une lueur, parce que vous SAVEZ mais vous n’avez pas VU. Nous, c’est fini, nous savons que nous vivons nos dernières heures, qu’un jour nous franchirons à notre tour cette porte damnée… Ces hurlements que nous entendons résonner la nuit et qui ne nous font même plus frissonner seront les nôtres avant cette horrible mort, qui sera bien plus horrible encore d’avoir été devinée, attendue. Les Allemands d’ailleurs nous le disent. L’autre jour, un

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