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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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S.S. allemands se détachaient d’un groupe et, chien en laisse, l’un nous précédait, l’autre nous suivait.
    — Six kilomètres de marche dans la boue et dans la neige. Petit à petit, nous laissions tomber le « gauche, gauche » et nous nous tenions le bras par deux ou trois pour essayer de marcher malgré nos mauvaises chaussures. Mais, sur les pierres et dans cette boue gluante, nous glissions quand même, nous dérapions et nous tombions, pour nous relever en vitesse, car nous ne devions pour aucun motif déranger l’ordre des rangs, sinon nous recevions une claque ou un coup de bâton.
    — Après une heure pénible, après avoir escaladé force fossés et talus, nous en avions déjà plein le dos et nous aurions voulu nous asseoir là et ne plus bouger. Mais pas du tout. Nous arrivions seulement sur les lieux du travail, en plein marais et nous ne devions pas espérer une minute de repos jusqu’après l’appel du soir, vers 7 heures.
    — Rapidement la Kapo nous séparait par groupes. Un premier groupe de prisonnières devait charger des tragues (caisses en bois portatives) avec de la boue et de la terre qu’une seconde équipe allait, en portant deux par deux ces tragues très lourds, déposer à deux cents mètres de là pour édifier un talus. Un troisième groupe attendait au talus et aplatissait en tapant avec de gros piliers de bois lourds la terre et la boue déposées là par les autres. D’ailleurs, dès qu’il pleuvait, boue et terre fichaient le camp, et il ne restait pas plus trace de talus que de beurre aux branches.
    — Au départ, la Lysel (la Kapo) vérifiait si les tragues étaient bien remplis pour que nous soyons bien crevées en les portant. Si, par malheur, c’était insuffisamment lourd, les femmes qui chargeaient les tragues et celles qui les portaient recevaient toutes un grand coup de bâton appliqué en pleine figure ou sur le crâne. C’était terriblement difficile à porter. Nous glissions à chaque pas dans cette terre glaise des marais polonais.
    — À deux cents mètres de là, une surveillante allemande, prisonnière prostituée également, attendait, bâton levé, menaçante, les tragues remplis à décharger. Il fallait marcher les unes derrière les autres sans s’arrêter, de la Kapo à la surveillante, et vite repartir de la surveillante à la Kapo. Elles trouvaient le moyen, pour toutes sortes de raisons, de vous appliquer à un bout comme à l’autre un coup sur la tête à chaque passage. Ça les amusait beaucoup. Petit à petit, elles avaient pris plaisir à nous frapper, et ça leur était devenu indispensable.
    — Quelle journée ! Douze heures de marche forcée, ployant sous des charges impossibles à porter, glissant, tombant, frappées.
    — La Kapo était, ce jour-là, particulièrement déchaînée et nous sommes rentrées, après ce premier jour passé aux marais, avec des plaies, des bosses, des marques bleues partout. Berthe, mon amie, reçut un coup tellement fort sur la bouche qu’elle garda les lèvres enflées pendant trois jours. Et je n’ai pas encore parlé du froid ! Les bâtons qui supportaient les tragues échappaient parfois à nos doigts transis que nous ne sentions plus. Nous faisions, dans une journée, trente kilomètres environ, chargées comme des mulets. À chaque pas, il fallait faire un effort pour pouvoir retirer le pied de quarante centimètres de boue et de neige. C’est long douze heures !
    — À midi, nous avions une demi-heure pour manger la soupe. Mais il était impossible de s’asseoir, il y avait de la neige et de la boue partout. Une gamelle pour deux. Un litre chacune à peu près, heureusement assez chaude et plus épaisse qu’en quarantaine. Mais souvent il neigeait, et elle refroidissait vite. C’était le seul moment impatiemment attendu de toute la journée. À peine ce repas fini, nous reprenions la file des tragues et nous repartions l’une derrière l’autre, toujours tournant en rond.

6

LES SABOTS HOLLANDAIS
    Ça (31) a commencé hier : on m’a volé mes chaussures. Quand, vers l’aube, je descendis de mon lit, elles n’y étaient plus. Emportée par ma colère, je trépignai comme Gise. « Zählappel, salopes ! » rugissait celle-ci. « Vous attendez que je vous tire du lit une à une. Je ne vous le recommande pas », et, sauvagement, elle frappe de son fouet, à l’aveuglette ! Moi, elle me vise exprès. Elle connaît mon lit. Il n’y a pas de jour où elle ne

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