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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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d’autres assistants, dont la tâche était d’accélérer notre marche à coups de bâtons.
    — Il y avait des femmes qui tombaient sous le lourd fardeau. Toutes nous avions l’estomac creux. La dernière ration de pain avait été mangée la veille à 6 heures du soir. Le matin, nous étions sorties en hâte sans boire.
    — Certaines laissaient tomber leur sable au milieu du chemin, et repartaient en prendre d’autre, ce qui leur permettait de reprendre haleine. Si ce fait était remarqué par nos gardiens, les femmes étaient battues jusqu’à évanouissement ; certaines s’affaissaient sans pouvoir se relever. Alors un S.S. s’approchait avec son chien, le chien entraînait la malheureuse victime vers le block 25, d’où elle ne sortait plus. Le coin le plus terrible était celui où nous remplissions les claies. Là était réunie « l’élite » des gardes-chiourmes allemands. De tous côtés et sans raison aucune, les coups tombaient sur le dos, la tête, les épaules. Quand nous étions chargées, nous essayions de partir en hâte comme délivrées.
    — Les baraques du camp étaient entourées d’une ceinture que formaient les « aristocrates » du camp. C’étaient celles qui travaillaient dans la semaine, dans le kommando élu de triage appelé « kanada » et d’où elles pouvaient rapporter des savonnettes, des mouchoirs, des douceurs. Pour un dimanche de travail comme celui-ci, elles rachetaient par leurs petits cadeaux aux Kapos, aux chefs d’équipe et même aux S.S. le droit de se reposer. Elles faisaient donc la ceinture autour des baraques pour ne pas permettre aux fuyardes de rejoindre les blocks où elles auraient pu se cacher dans la foule des femmes qui étaient en quarantaine et qui n’étaient pas obligées de travailler.
    — Je traînais ma claie avec une jeune fille du troisième arrondissement de Paris, Marie Kuban (une jeune partisane, morte par la suite au camp). Nous étions à bout de force. Après un ultime effort nous avions traîné notre fardeau jusqu’au carré désigné et nous nous étions arrêtées un instant pour nous reposer. Des hommes, des détenus comme nous, travaillaient dans la menuiserie non loin de là. Nous avions un vieux bout de pain tout desséché que nous avions trouvé et que nous ne pouvions pas avaler tellement il était dur. Un des hommes nous le troqua contre un morceau de rutabaga cru, dont nous nous régalions en cachette sur le chemin du retour pour prendre le sable. Pour nous le donner, l’homme avait placé sa « marchandise » sur un coin de planche et nous y plaçâmes notre pain, pour que nos mains ne se touchent pas. On pouvait nous observer…
    — Le rutabaga calma un peu notre faim et surtout la soif dont nous souffrions terriblement. Il nous avait été interdit d’aller chercher de l’eau qui était d’ailleurs très rare en ce temps-là au camp.
    — En revenant prendre le sable, nous jetâmes un regard vers le block 25 et nous restâmes toutes deux pétrifiées : deux chiens se partageaient une loque humaine. « Elle a défailli en traînant son sable » nous dit une des femmes. « Un S.S. a lancé son chien sur elle… » Une seconde, nous nous arrêtâmes pour contempler cette triste image et essayer de réaliser notre situation tragique. Mais déjà une cravache se levait au-dessus de nos têtes.
    — Devant le block, traînée par trois chiens à la fois, gisait une jeune fille que nous connaissions (son nom m’échappe). Une belle jeune fille blonde de vingt-deux ans, de Byalystok qui, la veille encore, nous racontait sa joie d’avoir trouvé un bon « kommando » où elle croyait pouvoir se débrouiller pour ne pas travailler si dur. Le matin elle était sortie du block fraîche et courageuse et maintenant à une heure de l’après-midi, elle se trouvait là, devant le 25… Nous avions réussi à accélérer notre course et à éviter les coups. C’était notre dernier adieu à la jeune fille de Byalystok.
    — Le festin continuait… Des dizaines de malheureuses victimes ont augmenté ce jour-là l’effectif du block 25. Nos regards endurcis et apathiques n’y faisaient plus attention.
    — À 3 heures de l’après-midi, les S.S. se décidèrent enfin à nous relâcher. Nous n’avions pas encore mangé. La soupe que nous recevions tous les jours à midi devait être distribuée ce jour-là après l’appel. Harassées de fatigue nous rentrions sales et nos gros sabots de

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