Les mannequins nus
sur des flaques d’eau et boire goulûment pour étancher leur soif. Elles ne pouvaient pourtant pas ignorer à quoi elles s’exposaient en absorbant ce liquide immonde. Mais dans l’abrutissement où elles avaient sombré, tout leur était égal et la mort ne pouvait leur apparaître que comme une délivrance.
DIMANCHE
— Le (63) dimanche était jour de fête dans le grand Reich allemand. Jusque dans ces camps de concentration dont le pays entier était couvert, on le fêtait. Je veux vous raconter ici, succinctement, comment nous le fêtions, nous, femmes-détenues au camp de Birkenau.
— Toute la semaine on attendait le dimanche avec nostalgie, à cause du supplément de sommeil dont nous ressentions un terrible besoin : debout de 3 heures du matin jusqu’à 6 ou 8 heures du soir ; l’appel du matin et celui du soir qui duraient cinq, six et dix heures ; les durs travaux de terrassement, ou les plus durs travaux des champs – nous valaient une fatigue indicible et un douloureux manque de sommeil.
— Dimanche étant déclaré jour de fête, on ne sortait donc pas travailler en dehors du camp et on n’avait pas d’appel le matin, en principe.
— Cette fois-ci encore (c’était un dimanche) nous fûmes réveillées à coups de bâton, comme les autres jours et, avec un bruit infernal, chassées des baraques. Nous n’étions pas arrivées à enlever les vêtements dans lesquels nous couchions, puisque nous n’avions ni paillasses, ni couvertures, en plein hiver polonais, au mois de mars. Nos yeux étonnés se refermaient encore, nous n’avions pas encore pris conscience que c’était dimanche.
— En dehors de la baraque nous nous trouvâmes face à face avec les « Kapos » et les chefs d’équipe, eux, en vêtements du dimanche. Avec leurs gestes habituels de brutes, ils nous mirent en colonnes par cinq. Devant et derrière la colonne étaient placés quelques chefs d’équipe, pour ne pas permettre à celles qui l’essayeraient de se sauver dans la direction des waters ou des tas d’ordures. En regardant autour de nous, nous voyions la même chose se passer devant toutes les baraques. Toutes les détenues du camp étaient dehors ce dimanche matin.
— On nous emmena en rangs vers le devant du camp, sur une place qui se trouvait entre la dernière rangée des blocks et la rangée des fils de fer barbelés et qui séparait le camp de l’espace libre. On nous plaça précisément devant le block 25. Block d’une triste renommée. C’est là qu’on réunissait chaque jour les « déchets » du matériel humain du camp, pour les expédier deux fois par semaine dans la chambre à gaz. Ce jour-là étaient réunis tous les plus sinistres sadiques du camp : les Kapos et les sous-chefs les plus brutaux, et les pires des sentinelles S.S. avec leurs chiens. Dans la semaine, ils entraient rarement dans l’enceinte du camp, mais nous attendaient au-dehors pour nous accompagner au travail. Cette fois-ci tous étaient rassemblés autour de nous à s’amuser et se moquer de nos airs effrayés.
— Ils nous firent retourner nos manteaux en haillons, de façon qu’ils soient boutonnés derrière et que le dos vienne devant. Nous nous demandions : « Pourquoi encore cette mascarade ? » Or, dans les pans de nos vêtements, nous devions transporter du sable. Nous devions le transporter de l’intérieur du camp vers l’extérieur pour ensabler des carrés dont on faisait un parterre autour de la maisonnette verte qui se trouvait à la porte du camp, et qui servait de permanence aux S.S. de service.
— Certaines recevaient des claies : une claie pour deux personnes.
— Et la promenade avec le sable commença.
— Près de la côte où nous devions prendre le sable, se trouvaient quelques femmes avec des pioches et des pelles, qui chargeaient de sable nos vêtements et nos claies. Cette place était privilégiée, car c’était un travail plus facile, et elle était acquise contre la part de saucisson ou de pain que les femmes donnaient aux chefs d’équipe, pour ne pas devoir traîner les lourds fardeaux de sable. À leurs côtés se trouvaient des sentinelles avec leurs chiens et quelques Kapos qui veillaient à ce que les claies et les pans de nos manteaux soient consciencieusement remplis. Dans le cas contraire, les coups de cravaches tombaient en pluie. Tout le long de la route à parcourir également, de trois mètres en trois mètres, se tenaient
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