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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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martyre.
     
    PREMIER REPAS
     
    — Deux (62) jours après notre arrivée nous reçûmes notre premier repas du matin. C’était un liquide brun, insipide, pompeusement baptisé du nom de café. Par la suite, on nous donna parfois du thé, mais à vrai dire il n’y avait aucune différence entre ces deux breuvages. Ils n’étaient pas sucrés et constituaient tout le repas, sans le moindre morceau de pain.
    — À midi, on distribuait de la soupe. Il était difficile de distinguer les ingrédients qui la composaient mais, dans les conditions normales, c’eût été quelque chose d’absolument immangeable. Il s’en échappait une odeur écœurante et souvent ce n’est qu’en bouchant les narines que nous arrivions à absorber notre portion. Mais comme il fallait bien se nourrir, nous étions obligées de surmonter notre dégoût. Chacune avalait le contenu de son récipient, nous n’avions pas de cuillers, d’un seul trait, comme on fait prendre aux enfants une potion amère.
    — Les éléments de la soupe variaient sans doute suivant la saison. Mais la saveur ne changeait pas. Ce n’en était pas moins une soupe surprise. On y péchait des boutons, des touffes de cheveux, des chiffons, des clefs à conserves, des souris et un beau jour on en tira même un objet rarissime dans le camp : un minuscule nécessaire de couture en métal, contenant du fil et tout un assortiment d’aiguilles.
    — C’est le soir que nous touchions notre ration journalière de pain : 200 grammes en tout. C’était du pain noir, contenant une forte proportion de sciure, qui irritait péniblement nos gencives que la gingivite, provoquée par l’avitaminose, rendait extrêmement sensibles. L’absence totale de brosses à dent et de dentifrices, ainsi que l’usage en commun des mêmes récipients, rendaient tout traitement illusoire.
    — Outre notre ration journalière de pain, nous recevions le soir un peu de confiture de betteraves ou une cuillère de margarine et exceptionnellement un mince rond de saucisson d’origine douteuse. La soupe ou le café nous étaient apportés dans de grosses marmites de 50 litres, pesant avec leur contenu près de 80 kilos, par deux détenues de corvée. Transporter à deux, et d’assez loin une telle marmite, à travers la boue, la neige ou le verglas, souvent sous la pluie, était une tâche des plus pénibles. Parfois les porteuses renversaient sur elles du liquide bouillant, ce qui provoquait des brûlures graves. Cette corvée aurait été dure même pour des hommes. Que dire alors de ces femmes en mauvaise condition physique et qui, pour la plupart, manquaient de tout entraînement pour les travaux manuels ? Mais l’administration allemande du camp, qui affectionnait les paradoxes, plaçait souvent dans les bureaux des internés à peu près illettrés et confiait de préférence les gros travaux à des intellectuels chétifs et sans résistance.
    — Une fois la marmite arrivée au block, la soupe ou le café était distribué par les « Stubendienst », ou préposées au service intérieur du block, que la « blocova » choisissait parmi les internées les plus grossières et les plus brutales, et qu’on munissait de gros bâtons. Les Stubendienst, dignitaires redoutées du block, ne se privaient généralement pas d’essayer leurs bâtons sur le dos de leurs compagnes dont la conduite, entre parenthèses, n’était pas toujours sans reproches. Ainsi, à la vue de la marmite, les malheureuses ne parvenaient pas à se dominer et se ruaient sur la nourriture comme des animaux dans une bousculade farouche.
    — De la marmite on transvasait le liquide dans les vingt récipients du block, et chacun devait être réparti entre les occupantes d’une « koïa ». La question de priorité donnait lieu à d’âpres contestations. Enfin le tour de rôle une fois établi et la première appelée ayant pris possession du récipient, ses dix-neuf voisines de « koïa » ne la quittaient plus des yeux, comptant jalousement chaque gorgée avalée et guettant le moindre mouvement de son gosier. Le nombre des mouvements de déglutition accomplis, la seconde arrachait le récipient à la précédente et absorbait avidement à son tour sa part de liquide malodorant sans parvenir à tromper la faim qui la tenaillait.
    — Spectacle combien pénible ! Il n’y avait qu’une chose qui me décourageait encore plus, c’était de voir des femmes fines et intelligentes se pencher

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