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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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bois couverts de boue. Par ordre formel, il fallait laver nos chaussures, pour pouvoir défiler le lendemain au travail propres et ordonnées. Nous lavâmes nos chaussures dans des mares d’eau, dont l’odeur était terrible et dont le camp était couvert. Nous nous acheminâmes vers nos blocks respectifs, pour rester deux heures durant debout à l’appel. Ensuite, nous rentrâmes une à une à l’intérieur, pour toucher la gamelle d’une maigre soupe déjà froide, puisque la cuisine l’avait préparée pour midi.
    — Nous étions à cette époque cinq cents dans un block. Il est facile d’imaginer combien de temps dura ce défilé… Enfin ne tenant plus de lassitude, nous nous affaissâmes sur nos « coyas ».
    — Le lendemain, à 3 heures du matin devait recommencer la semaine « normale » de travail.
    — Après quelques dimanches de ce genre, le parterre autour de la maisonnette verte était prêt, et quelques mois plus tard, des fleurs y fleurissaient qui ravissaient le regard.
     
    LE SPORT
     
    — Quand (64) l’appel prenait fin, il faisait encore sombre dehors et très froid. Couverts de givre, les toits des blocks renvoyaient de pâles reflets. La courtine des ténèbres se relevait lentement, déroulant le spectacle merveilleux du lever du soleil au-dessus des montagnes. Subitement, l’incendie enflammait les nuages, atteignait la ligne des monts, les dents dorées des rayons jaillissaient de derrière les sommets comme de la tête de Moïse, et enfin le soleil rouge mais encore sans chaleur montait. Il faudrait attendre une heure ou deux la tiédeur. Oh ! comme les Häftlinge (65) guettaient ce moment : elles avaient eu froid toute la nuit, terriblement froid pendant l’appel. Maintenant encore le froid les crispait.
    — Pour se réchauffer, elles faisaient en courant la navette entre le tas de cadavres et les ordures. Chaque lever du jour apportait immanquablement une dizaine de cadavres. La récolte de la mort. La journée en ajoutait de nouveaux. Les corps nus, d’un jaune livide, semblaient étonnamment menus et petits. Ils gisaient pêle-mêle. Dans le camp, personne ne respectait la mort. On traitait la dépouille humaine comme une guenille rejetée. Les mortes restaient donc telles qu’on les avait déchargées du brancard, les unes face au sol, les mains écartées, inertes, les autres sur le dos, montrant des yeux largement ouverts et une bouche figée dans un cri. Sur le rideau s’étendait un corps couvert de plaies, jeté en travers ; une autre morte gardait la main crispée, comme si, de cette main, elle appelait la vengeance. Toutes étaient effroyablement maigres, squelettes recouverts de peaux malades. Bien qu’arrivées depuis une semaine – était-ce vraiment une semaine ? n’était-ce pas une année, ou une éternité ? – les Zugänge (66) ne s’étaient pas encore familiarisées avec ce spectacle et, arrivées au tas de cadavres, elles s’en retournaient hâtivement.
    — Les tout premiers jours, elles avaient fait de la gymnastique. Elles comptaient en faire toujours. La première matinée, elles en étaient convaincues. On les avait conduites sur la Wiza (67) , transies de froid comme aujourd’hui. La Tymkowna (68) toujours courageuse, avait proposé des exercices.
    « Cela vous réchauffera mieux que ces courses désordonnées disait-elle. Nous tiendrons mieux le coup si nous conservons notre forme. » Elle avait raison ; aussi toutes les Zugänge avaient-elles fait de la gymnastique avec enthousiasme. Dix silhouettes en rayé s’étaient approchées, courbées, abîmées, infectes, la tête entourée d’un fichu sale. Elles s’étaient mises à ricaner bêtement.
    « Pourquoi riez-vous, mesdames ? leur avait lancé la Tymkowna énervée.
    « — Eh bien c’est que nous aussi… nous aussi… de la même façon… jadis… vous en aurez vite assez, vous aussi. »
    — Elles s’étaient retournées lentement, empoignant les pelles qu’elles venaient de déposer. Les Varsoviennes avaient haussé les épaules. Jamais, jamais, elles ne se laisseraient aller à ce point. Elles ne se rendraient pas, et elles feraient leurs mouvements tous les jours. Elles conserveraient leur forme.
    — Une semaine s’était écoulée et voilà que depuis trois jours elles ne parlaient plus de gymnastique. Elles s’étaient heurtées à la faim.
     
    LE BRUIT
     
    — Il (69) y a une chose terrible dans le block, c’est le bruit. Huit cents

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