Les mannequins nus
genre de service elle attendait d’elle. La situation était des plus délicates. D’une part, refuser quelque chose à Irma Grese était d’une témérité folle, d’autre part, si les autorités supérieures apprenaient un jour cette intervention, le risque n’était pas moindre.
Mon amie hésitait. Pour la décider, Irma Grese lui fit des promesses tentantes :
« Vous partagerez mon petit déjeuner. Vous aurez de l’excellent chocolat et du café au lait au choix, des brioches et des tartines beurrées à volonté.
Et elle ajouta :
« — Je vous donnerai aussi un manteau d’hiver, très chaud.
— Cependant la chirurgienne restait indécise. Le danger était trop grand. Alors, Irma Grese, rouge de colère, sortit son revolver.
« — Je vous donne deux minutes pour réfléchir.
« — Soit, je ferai ce que vous me demandez, dit la doctoresse.
« — C’est bien, je vous attendrai demain, à 5 heures, au block 19. Et rappelez-vous que je ne tolère pas l’inexactitude, ajouta Irma en tournant les talons.
— Mon amie fut exacte au rendez-vous. Sur sa demande, je l’accompagnai, ainsi qu’une infirmière professionnelle. Irma Grese suait littéralement la peur. Elle tremblait et gémissait sans parvenir à se dominer. Cette femme qui envoyait froidement à la mort des centaines d’internées ou les brutalisait sans s’émouvoir, était incapable d’endurer elle-même la moindre souffrance sans geindre.
— Une fois l’opération terminée, elle se mit à bavarder avec nous et déclara :
« — Après la guerre je ferai du cinéma. Vous verrez mon nom en vedette sur l’écran. Je connais la vie et j’ai vu énormément de choses. Je sens que mon expérience sera utile à ma carrière d’artiste. » Depuis, Irma Grese a en effet fait du cinéma. Mais pas tout à fait comme elle se l’était imaginé. Ce n’est pas à l’héroïne d’un drame d’amour qu’elle a prêté son beau visage ; plus simplement elle a paru à l’écran dans les actualités du procès de Lunebourg.
24
MALA
La première organisation clandestine de Résistance s’implanta à Auschwitz dans la semaine qui suivit l’arrivée des « Pionniers », une association « timide » de trois ou quatre amis de Cracovie engagés dans le même kommando de défricheurs et de bâtisseurs. Ces déportés de l’« inauguration », tous Polonais, reçurent les matricules allant de 31 à 758. Tadeuz Wiejowski et Edward Galinski dressèrent la liste des nouveaux arrivants qu’ils firent parvenir, par l’intermédiaire de paysans des environs, à un prêtre du village d’Auschwitz. Pour éviter les contacts, Hoess ordonna le déplacement des deux mille habitants du « quartier » des tabacs puis, peu à peu, toutes les familles propriétaires d’un toit ou d’un terrain dans la zone d’influence du camp furent chassées. Les matériaux récupérés dans cent vingt-trois fermes servirent à surélever les bâtiments des casernes. La région ainsi dépeuplée occupait une superficie de quarante kilomètres carrés.
Tadeuz Wiejowski, qui avait réussi à se procurer des vêtements civils, se faufila dans un groupe de « paysans réquisitionnés » et disparut (108) . Le premier « résistant » du camp fut aussi le premier évadé.
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— Dachau (109) était un mauvais camp. Mais nous pouvions y espérer de survivre. Les conditions de vie à Auschwitz ne justifiaient pas un tel espoir. Les deux types humains caractéristiques pour les camps d’extermination y proliféraient plus qu’ailleurs : le « Musulman », qui avait renoncé à lutter et qui était mort spirituellement avant de mourir physiquement, et le « Proéminent », qui ne songeait qu’à se procurer autant d’avantages que possible, à « organiser » , suivant le langage du camp, et qui vivait au jour le jour, refusant de penser à l’avenir. De tels « Proéminents » cherchaient à se procurer de l’alcool, ainsi que des stupéfiants. On pouvait obtenir tout cela au « Canada », à condition d’avoir des relations. Ces deux types existaient également dans les autres camps, mais ils y étaient beaucoup moins marqués, les contrastes y étant moins accentués. Il va de soi qu’aucun d’eux ne convenait à l’organisation d’une résistance.
— Une autre difficulté consistait dans le fait que les S.S. utilisaient systématiquement les antagonismes entre les détenus. Le nombre des
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