Les mannequins nus
depuis de nombreuses années, Rudolph Friemel était parvenu à organiser les antifascistes sincères et combatifs et, depuis notre arrivée, il cherchait à établir des contacts avec nous.
Friemel était connu dans tout le camp, dans tous les kommandos :
— Ah ! si c’est Rudi qui le dit !
Rudi Friemel avait plusieurs amis autrichiens dans la garnison S.S. d’Auschwitz et de nombreux protecteurs dans l’état-major de Vienne ou de Berlin. Même Hoess, qui recevait pour lui plusieurs lettres ou télégrammes par mois, semblait le respecter. Rudi s’était marié – exploit ahurissant à Auschwitz :
— Rudi (112) était très populaire parmi nous (au bureau politique) car son dossier était le plus gros de tous les autres : soixante-quinze pages, tout un livre. Le contenu de son dossier représentait un véritable roman qui pourrait difficilement être imaginé par la fantaisie d’un écrivain… À Auschwitz, il travaillait au kommando « farbereitschaft ». Chose incroyable, il s’était marié au camp. Pour la première fois (et la dernière) dans les annales du camp, le bureau de l’état-civil remplissait ses véritables fonctions en mariant un détenu. Et quelle noce ! Les démarches ont duré très longtemps, jusque chez Himmler qui y consentit. La fiancée, qui avait un fils de douze ans de Friemel, obtint la permission de venir au camp et de légaliser sa situation. Ce fut un grand jour au standesamt (le bureau d’état-civil). La fiancée vint avec son fils et sa mère ; le frère et l’oncle de Friemel vinrent de Vienne. Ils furent mariés par le chef du bureau d’état-civil et les époux purent même rester deux jours ensemble.
Ce mariage prouve le « pouvoir » de Friemel qui partageait ses responsabilités avec un autre Autrichien, Ernst Burger, plus « discret » mais tout aussi efficace. Le camp des femmes, dans les plans « à longue prévision » de Friemel et de Burger devait jouer un rôle important. Ce furent les Français qui établirent les premiers contacts.
— Il fallait (113) , pour cela, faire intégrer un de nos hommes dans un kommando de jardinage qui travaillait dans leurs parages. « L’organisation » joua. Ce fut notre camarade Garnier qui devint, pour la circonstance, jardinier et établit ainsi la liaison entre nous et nos compatriotes. La vie au camp des femmes était encore plus terrible que chez les hommes. Les conditions d’hygiène y étaient pires. Tout manquait à nos compagnes. Nous nous ingéniâmes à trouver des vêtements féminins, des chaussures, du savon et même des linges hygiéniques. Cela nous était possible par l’arrivée incessante de nouveaux convois et l’apport de matériel qui s’ensuivait, ainsi que par la présence de nos camarades dans certains kommandos-clés. Mais le danger des transports subsistait et les relations avec les femmes étaient gravement punies. Notre camarade Garnier s’acquitta merveilleusement de sa tâche et chacun de nous se souvient de son bonheur lorsqu’il était parvenu, en se grossissant un peu, à passer du linge ou d’autres objets sous ses vêtements. Il déposait tout cela dans un lieu convenu et nos amies en prenaient ensuite possession. Le même stratagème devait servir par la suite à l’échange de correspondance politique et à la transmission de nos mots d’ordre.
— Je le vois (114) encore le matin à l’arrivée de son kommando qui venait tous les jours aux serres. Pendant que le Kapo des hommes faisait l’appel avant le travail, nous regardions à la dérobée par une fenêtre du laboratoire ; Eugène se mettait toujours dans la rangée de devant et, d’un clin d’œil, il nous faisait comprendre qu’il avait « quelque chose » pour nous. Ce « quelque chose », il l’apportait au péril de sa vie : Eugène ne se contentait pas de nous transmettre les consignes de l’organisation internationale quand l’une de nous réussissait à le rencontrer furtivement, ni de discuter avec lucidité de la situation politique, mais il se considérait comme responsable de chacune de nous, de notre santé, de notre moral. Chaque jour, c’était lui qui nous apportait le V olkischer Beobachter, qu’il était interdit de faire entrer dans le camp des femmes ; la lecture quotidienne du communiqué dont la teneur était diffusée dans les deux kommandos était le meilleur des toniques : nous voyions sous le verbiage stratégique, reculer les troupes d’Hitler
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