Les mannequins nus
une laiterie.
Ravensbrück ! Le révélateur. La petite paysanne, en quelques semaines, efface son passé, ses complexes, ses haines, découvre sa beauté, son pouvoir de séduction sur les hommes et les femmes, imagine sa puissance. Demain !
Demain, c’est Auschwitz. Demain c’est Frau Langefeld dont il faut devenir adjointe. Le pouvoir. Amitiés, intrigues, bassesse, violence, fouet facile, Irma Grese est irremplaçable. Elle est la meilleure gardienne. La seule capable de seconder Frau Langefeld. Demain ! Demain, c’est évincer Frau Langefeld. Irma Grese le peut. Elle le sait.
— Elle était (107) d’une beauté exceptionnelle, on l’a dit et redit. L’effet de cette beauté était tel que même les internées, bien que sa visite quotidienne signifiât l’appel pour toutes et la sélection avec la chambre à gaz pour beaucoup, oubliaient un instant le sens de cette apparition, et murmuraient : « Ah ! qu’elle est belle ! » Si un romancier imaginait une scène pareille, les lecteurs ne manqueraient pas de l’accuser d’une imagination de mauvais aloi. Mais il arrive que la vie écrive aussi de mauvaises pages de romans.
— Cette jeune S.S. était consciente du pouvoir de sa beauté et ne négligeait rien pour le rehausser. Elle avait l’habitude de préparer longuement devant un miroir le jeu de sa physionomie et ses gestes. Un effluve de parfum la suivait partout où elle passait. Là encore, rien n’était laissé au hasard. Elle avait sur sa coiffeuse toute une gamme d’essences et elle dosait elle-même ses mélanges. Cet usage immodéré des parfums était, je crois, un suprême raffinement de cruauté. Les détenues tombées au degré le plus bas de la déchéance physique humaient avec une joie avide le parfum pénétrant qui flottait autour d’elle et qui, par contraste, rendait encore plus insupportable le fade relent de chair humaine brûlée qui planait en nappe écœurante au-dessus du camp. Cet « ange » parfumé aux yeux de myosotis, aux tresses d’or, exploitait sa beauté pour faire sentir plus durement encore aux internées l’horreur de leur condition.
— Elle apportait aussi à sa mise une extrême recherche. L’uniforme S.S. lui allait d’ailleurs beaucoup mieux que le costume-tailleur civil. Elle affectionnait particulièrement une vareuse bleu ciel comme ses yeux, avec une cravate plus foncée fermant le col de sa chemise. La cravache dont elle usait si facilement était piquée dans la haute tige de sa botte. Mais elle avait aussi une garde-robe civile bien fournie. J’ai bien connu sa couturière, une internée loqueteuse, qui dirigeait jadis une des plus célèbres maisons de haute couture de Budapest. Irma Grese ne lui laissait pas un instant de répit. Elle la faisait travailler du matin au soir, car elle ne manquait pas d’étoffes, même pas d’étoffes anglaises. Les bureaux de récupération de la chambre à gaz lui fournissaient en abondance chaussures, tissus et vêtements. C’est parmi cet héritage qu’elle avait choisi sa robe de chambre préférée et le chandail bleu qu’elle mettait si souvent. Tous les pays de l’Europe martyrisée lui fournissaient les modèles les plus divers. Dans son armoire, qui était une véritable collection, figuraient des créations de couturiers de Paris, de Vienne, de Prague, d’Amsterdam et de Bucarest.
— Irma Grese, l’« ange » au visage si pur, avait de nombreuses aventures amoureuses. Dans le camp on racontait qu’elle avait eu entre autres pour amants Kramer et le docteur Mengele. Mais son grand amour était un ingénieur S.S. d’Auschwitz qu’elle allait souvent rejoindre le soir. Et pour être de retour à son poste à l’heure, il lui fallait quitter son ami au milieu de la nuit. Quand l’ingénieur venait lui rendre sa visite au camp, elle rayonnait de fierté et de joie. « Regarde, semblait-elle lui dire, c’est mon royaume ici. J’ai droit de vie et de mort sur ce troupeau. »
— Ce droit, elle l’avait effectivement et elle l’exerçait largement au cours de ses sélections.
— Un jour, nous vîmes Irma arriver à l’infirmerie. D’un ordre bref elle renvoya les malades qui s’y trouvaient, puis en fit de même avec le personnel pour rester en tête-à-tête avec la chirurgienne, à laquelle j’étais liée par une profonde amitié.
« J’ai besoin de vos services, dit-elle. On m’a dit que vous êtes très habile.
— Et elle lui expliqua quel
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