Les mannequins nus
rayé ? Le second cordon de garde (le grand cercle extérieur) est en place depuis déjà une heure. Les hommes retrouvent le dépôt qu’ils ont quitté un quart d’heure auparavant. Ils se glissent par un soupirail dans la réserve de charbon. La première clé ouvre la serrure de la chaudière. Seconde clé : uniformes S.S. Troisième : armement. Le moteur de la Steger 220 ronronne au premier tour de manivelle.
— Cette fois, impossible de reculer.
Ils s’embrassent.
Piechowski s’installe au volant. Encore cent mètres. La barrière est baissée. Piechowski passe la première. Jaster qui a glissé un revolver sous sa vareuse débloque le cran d’arrêt.
— Ils sont six. Même si ça ne marche pas, on a une chance.
Le garde lève la main et s’avance. Piechowski émet un grognement et d’un geste brusque désigne la barrière. Le S.S. appuie sur le balancier. La barre du bois libère la route.
Un guide de Sucha, trois heures plus tard, leur fait passer la frontière montagneuse du « General Gouvernement ».
Janina Kajtoch et Helena Stopkowa, les deux jeunes filles qui avaient recruté le guide pour le groupe Piechowski, jouèrent un plus grand rôle dans l’évasion de Boleslaw Kuczbara, Otto Küsel, Jean Baras et Mieczyslaw Januszewski. Contactées le 2 décembre par Kuczbara qui réclamait un uniforme allemand, deux casquettes et des vêtements civils à déposer dans deux relais de la route de Brzeszcze, elles montèrent un véritable comité d’accueil qui veilla pendant trois jours à proximité des relais choisis. Des ouvriers réquisitionnés firent passer « uniformes, casquettes, plans et messages ». Dans l’un de ses « billets », Kuczbara écrivait :
— Je prendrai avec moi les registres nominaux de tous les gens morts dans le camp en 1942.
— Le matin (110) du 29 décembre 1942, une plate-forme tirée par deux chevaux franchit la porte d’entrée du camp d’Auschwitz. Sur la plate-forme, il y avait deux armoires. Le prisonnier Kuczbara vêtu en uniforme S.S. se cachait dans l’une de ces armoires. Personne ne s’étonna de voir la plate-forme avec trois prisonniers sortir du camp, car tous les Blocksführer connaissaient bien Otto Küsel. Quand la plate-forme passa près du poste de contrôle du grand cordon de la garde, Kuczbara, déguisé en S.S., était assis en arrière et montra aux sentinelles un laissez-passer bien contrefait par les évadés. La plate-forme se dirigea vers le village de Broszkowice, où on laissa les chevaux et la plate-forme dans un endroit fixé auparavant ; c’était une maison appartenant à une famille polonaise qu’on avait évacuée. Les évadés mirent les vêtements civils qu’on leur avait fournis et ensuite, faisant semblant d’être des ouvriers qui réparaient la route, ils traversèrent le pont sur la Vistule et là seulement, abandonnèrent leurs brouettes. Cette précaution était absolument nécessaire, car des groupes de prisonniers travaillaient sur le terrain de Broszkowice et l’évasion presque tout entière fut observée par les sentinelles S.S. qui ne soupçonnaient rien.
— Les évadés accompagnés par les agents de liaison ; Adam Fortuna, Stanislaw Wojcik, Ludwig Denda et Tadeuz Stapo marchaient vite et gagnèrent le village de Libiaz éloigné de plus de dix kilomètres. L’organisateur de cette entreprise, Andrzej Harat observa l’évasion tout entière. Ce fut lui qui trouva à Libiaz une cachette pour les prisonniers, en les enfermant dans le clocher de l’église du village. Trois heures plus tard, la poursuite arriva à Libiaz, mais elle ne donna aucun résultat. Kuczbara, qui se cachait dans la maison de Andrzej Harat décrit ses souvenirs du camp, en laissa un exemplaire au maître de maison et emmena les autres à Varsovie avec d’autres documents. Le rapport et les documents furent ensuite transmis à la Kommandantur générale de l’Armée du Pays et au gouvernement polonais de Londres.
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C’est au cours de ce mois de décembre 1942, que trois déportés français, Garnier, Pelissou et Abada, représentèrent leur collectif national au sein du Comité clandestin de Résistance.
— En sortant (111) de l’infirmerie, je parvins à rencontrer le responsable de ce travail clandestin. C’était un ancien dirigeant de l’organisation militaire antifasciste autrichienne, le « Schutzpunkt », ancien officier des Brigades Internationales en Espagne. Interné
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