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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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la tête.
    — Nous partageons désormais l’opinion de Turin et ne faisons guère confiance à l’armée autrichienne. Par conséquent, nous ne leur abandonnerions l’affaire qu’après avoir confisqué la poudre. Voilà pourquoi nous voulions proposer un marché à l’agent des Piémontais qui, au bout du compte, poursuit le même objectif que nous.
    Bon, les cartes étaient maintenant sur table. Malgré tout, Zorzi trempa les lèvres dans son madère en se contentant de froncer les sourcils.
    — Je ne saisis toujours pas pourquoi tu me racontes tout cela, dit-il enfin.
    — Je vais t’expliquer, répondit le commissaire, à condition que tu répondes d’abord à quelques questions. Est-il vrai que tu as combattu en Crimée dans les rangs de l’armée de Sardaigne ?
    — C’est vrai.
    — Et que tu faisais partie d’une unité spéciale ?
    Zorzi acquiesça à contrecœur.
    — En effet, je ne servais pas dans l’infanterie de ligne, si c’est ce que tu veux dire.
    — Est-il vrai que tu as pris le train de Vérone à Venise dimanche soir, il y a huit jours ?
    Le visage de son ancien camarade de classe se referma comme une huître.
    — Je ne sais pas si je dois répondre à cette question.
    — Nous avons des témoins.
    Zorzi soupira.
    — Quelles conclusions en tires-tu ?
    S’agissait-il déjà d’un semi-aveu ?
    — J’en conclus que tu ferais bien d’accepter notre proposition. Nous voulons la poudre et le collier. Les personnes impliquées dans cette histoire ne nous intéressent pas.
    Le directeur du casino dévisagea le commissaire en faisant des yeux ronds.
    — Veux-tu insinuer que c’est moi qui aurais assassiné l’homme dans le train avant de prendre sa place ? Et que j’aurais ensuite tué Ziani parce qu’il m’avait percé à jour ?
    — Où étais-tu dans la nuit de jeudi à vendredi ?
    — Chez moi. Je dormais.
    Zorzi s’empara de son verre de madère et le vida d’un trait.
    — Ce n’est pas un bon alibi. Néanmoins, la plupart des Vénitiens n’en auraient sans doute pas de meilleur.
    — Nous voulons la poudre et le collier. Rien d’autre. Tu aurais ainsi atteint ton objectif, et nous le nôtre.
    Les mâchoires de Zorzi se contractèrent, mais son visage demeura impénétrable.
    — Je pourrais peut-être te fournir un indice.
    — Lequel ?
    — Un indice qui résoudrait ton problème. Seulement, il faut d’abord que je le vérifie.
    — II ne nous reste plus beaucoup de temps. François-Joseph arrive demain.
    Zorzi se pencha en avant et redressa une pile de jetons noirs. Puis il releva la tête et fixa son camarade.
    — Accorde-moi jusqu’à ce soir.
    Tron fronça les sourcils.
    — Qu’as-tu l’intention de faire ?
    — Je ne peux pas te le dire.
    — Quelle garantie m’offres-tu ?
    — Ma parole. Ma parole de Vénitien. Et ma parole de Zorzi.
    — Les Vénitiens sont parjures, cupides et sournois, déclara le commissaire. Quant aux Zorzi, ce sont des Vénitiens typiques.
    — Et les Tron ?
    — Encore pires.
    Zorzi sourit.
    — Comment dois-je comprendre cette réponse ?
    Le propriétaire du casino savait bien entendu comment. Son ami n’avait pas besoin de lui expliquer. Tron ramassa son haut-de-forme et se leva.
    — Tu peux me joindre au palais Balbi-Valier, dit-il avant de sortir.

40
    L’appartement occupé par Boldù se situait sur le quai des Zattere. Zorzi possédait un double des clés car l’immeuble lui appartenait. Il s’agissait d’une petite maison à deux étages, au toit en tuiles canal. Comme le rez-de-chaussée n’était pas loué et qu’en outre les deux bâtiments attenants étaient des entrepôts, il lui avait paru évident d’y héberger leur hôte. Leur hôte dont il venait d’apprendre qu’il travaillait pour les renseignements piémontais, qu’il avait tué Ziani et qu’il envisageait Dieu sait quoi encore pour empêcher l’opération.
    Pendant sa conversation avec le commissaire, Zorzi s’était interrogé sur la pertinence de leur projet. C’était Ziani qui avait imaginé un feu d’artifice au-dessus de la place Saint-Marc. S’il avait fini par se laisser convaincre, c’était tout d’abord parce qu’il se considérait comme un patriote italien et, ensuite, à cause d’un entretien avec le commandant de place Toggenburg et le colonel Lamasch, chef des renseignements à Venise. Le casino Molin lui appartenait, certes, mais il devait la licence d’exploitation à la Kommandantur. Du point de vue juridique,

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