Les Médecins Maudits
coucher dans des clairières sacrées ; danser chaque soir de chaque jour de marche. Une longue marche… Pour les plus éloignés des champs d’ « émerveillement », 900 kilomètres aller et retour. Le peyotl, c’est une tête verte qui sort du sol. Le géant de ces cactus atteint quatre centimètres de haut. Avant de le décoller de la poussière, l’Indien s’incline trois fois, puis il découpe la boule en rondelles comme un saucisson. Le peyotl saigne, se fane ; le vert tourne au gris. Il séchera au soleil en rougissant. Les Indiens modernes l’ont baptisé « Whisky Dry » et en 1911, Joseph Rave, fondateur à New York d’une église satanique, remplaça l’hostie de la communion par cette « rondelle de lumière ». Ses fidèles juraient tous et jurent encore que le peyotl leur fait découvrir le Paradis de l’Éternité. Du peyotl, les chimistes tirent la mescaline. Le frère d’Aldous Huxley, Thomas, sépara la mescaline du peyotl ; l’écrivain ne put résister à la tentation de se plonger dans ce « rêve coloré ».
— Il y eut de somptueuses surfaces rouges, s’enflant et s’étendant à partir de nœuds d’énergie brillants qui vibraient d’une vie aux dessins continuellement changeants.
Au début de l’année 1945, le déporté belge Arthur Haulot s’assit en face du médecin Plottner dans l’une des chambres du centre de recherches SS de Dachau. C’était un dimanche glacial. Sur une table, une bouteille de cognac français et deux verres.
— Asseyez-vous.
Plottner versa l’alcool dans les verres.
— Du cognac simplement. Goûtez. Essayez, de vous souvenir exactement du goût.
Arthur Haulot dégusta la première gorgée. Il claqua la langue : ses papilles gonflées redécouvraient un monde qu’il avait oublié.
— Bon ?
— Très bon.
— Écoutez bien maintenant. Je délaye la mescaline dans le verre. Dites-moi si le goût du cognac est changé.
— Je ne trouve rien. C’est le même cognac. Le même goût.
Pendant deux heures, rien ne se passa.
— Puis j’ai xix perçu les premières manifestations du poison sous forme d’une première vision extraordinairement colorée.
Assez rapidement, les visions se sont multipliées, jusqu’à en arriver à me donner l’impression que mon cerveau était entièrement encombré par ces créations.
Ces visions prenaient, pour moi, l’aspect de formes géométriques, variant du losange à la courbe ondulatoire. Elles avaient toutes, pour origine, une espèce de point central d’un violet extrêmement sombre, d’où elles surgissaient à un rythme que je qualifierais de musical, en revêtant les couleurs à la fois les plus nuancées et les plus vives.
Pendant une heure encore Arthur Haulot est conscient qu’il participe à une expérience. Il suit avec intérêt le travail des médecins déportés qui prennent sa tension, lui font une prise de sang, examinent ses yeux. Le docteur Roche constate que ses vaisseaux ont doublé de volume.
— La mescaline est un vasodilatateur puissant. Haulot était rouge. Il ressemblait à un homme ivre.
Le « cobaye » sent qu’il perd conscience mais il conserve une lucidité relative et sa mémoire. Plottner s’approche :
— Écoutez-moi bien. Croyez-vous que d’un homme dans votre état, il serait possible d’obtenir qu’il dise ce qu’il ne devrait pas dire ?
— Au prix d’en effort assez grand, j’ai pu assimiler sa question et répondre fermement par la négative.
Environ une heure plus tard, la même question m’a été posée. J’étais à ce point dominé par les visions toujours plus riches et plus colorées, que le fait de rentrer en contact avec la réalité et notamment d’ouvrir les yeux et de raisonner, m’est apparu comme un supplice absolument sans aucune mesure avec tout ce que j’avais, jusque-là, connu au travers de trois ans de camp.
J’ai répondu, tout d’abord : « oui tout », j’ai ajouté : « Demandez-moi si j’ai tué mon père et ma mère, je répondrai oui, pour que vous me fichiez la paix. » Puis, me raisonnant, au prix d’un effort beaucoup plus douloureux encore, j’ai jeté rageusement « mais de moi, vous ne saurez rien ».
Le colonel a ri, m’a rassuré sur ses intentions à mon égard et a quitté la pièce.
On m’a demandé, à ce moment, de me lever et d’écrire ce qui me passait par la tête. De nouveau, l’effort fait pour m’arracher du lit, tenir les
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