Les Médecins Maudits
yeux ouverts et comprendre les questions qui m’étaient posées m’ont paru comme l’expérience la plus effroyablement douloureuse que j’ai traversée.
Je me suis débattu pendant de longues minutes, en refusant d’écrire quoi que ce soit. Je n’avais plus du tout la certitude, à ce-moment, d’être un cobaye volontaire entouré d’amis, mais j’avais, au contraire, le sentiment d’être pris dans un piège.
Je crois avoir fini par écrire quelques mots, probablement sans suite, après avoir recouvré la certitude qu’il ne s’agissait que d’une expérience et que le seul but à atteindre était de comparer mon écriture normale avec celle que je pouvais avoir dans cet état.
On m’a alors accordé un repos complet.
Vers sept heures trente du soir (l’absorption de la mescaline avait eu lieu à midi), j’ai pu rejoindre ma chambre d’infirmier au block trois.
J’étais très exactement comme un boxeur groggy. Je devais m’appuyer aux murs pour avancer.
J’ai pu faire part, rapidement, de mes impressions à quelques camarades. Mon cerveau continuait d’être encombré d’images colorées, mais sur un rythme décroissant.
J’ai pu alors me coucher dans mon propre lit ; mais dès que je sentis que j’étais effectivement en sûreté, en dehors de la salle d’expériences et entouré exclusivement de camarades, j’ai piqué une véritable crise de folie furieuse. Je hurlais et me débattais, sans pouvoir reprendre le contrôle de mes nerfs, absolument brisés.
J’ai été veillé toute la nuit par un ami qui m’a affirmé, le lendemain, que la crise avait perdu sa violence vers une heure du matin et que j’étais resté jusqu’aux environs de cinq heures sans pouvoir m’endormir.
Au réveil, je me suis senti dans un état normal, à ceci près que j’avais un immense sentiment de lassitude physique, qui a disparu dans les vingt-quatre heures.
J’ai retrouvé, immédiatement, mon appétit habituel et ma capacité normale de raisonnement.
Je n’ajouterai qu’un détail, probablement sans importance, mais qui, personnellement, m’a beaucoup intéressé : avant l’expérience, j’avais toujours rêvé, comme la plupart des gens, en gris : j’ignorais même que certaines personnes rêvaient en couleur. Pendant très longtemps, après l’expérience, il m’est arrivé de rêver en couleur ; c’est encore le cas, mais de plus en plus rarement aujourd’hui.
J’estime que les expériences faites à Dachau ont démontré ceci :
1. L’absorption du produit, surtout si elle se fait sans que le patient en ait conscience, doit immanquablement amener chez lui un état d’affolement qui le prive, au plus fort de la crise, de toute espèce de résistance spirituelle.
2. On peut obtenir du patient, dans ces conditions, je ne dirai pas n’importe quel aveu, mais n’importe quelle déclaration.
Sans doute, par hasard, peut-on obtenir que le patient dévoile une vérité qu’il voudrait cacher mais, beaucoup plus généralement, on obtiendra simplement de lui qu’il souscrive à n’importe quelle accusation portée contre lui, même la plus invraisemblable, parce que son seul désir n’est pas du tout de se débarrasser d’un secret mais bien plus simplement d’échapper à la souffrance intolérable que lui cause l’obligation de s’isoler du rêve créé par la drogue.
Mes conclusions correspondent à celles que m’ont formulé divers autres camarades de Dachau qui s’étaient livrés à la même expérience, la seule différence de l’un à l’autre consistant dans le fait que les visions, tout en gardant pour tous les sujets la même intensité de coloration, changeaient de forme, apparemment en fonction d’éléments de leur subconscient.
Certains, en effet, m’ont fait part de ce que ces visions revêtaient, pour eux, un caractère essentiellement érotique par exemple.
Huit déportés dégustèrent le cognac à la mescaline. Puis le médecin colonel disparut dans la débâcle avec ses dossiers, ses conclusions et sans doute ses bouteilles de V.S.O.P. Les militaires allemands n’avaient plus besoin de sérum de la Vérité-L.S.D., pour hurler à la mort contre Hitler.
6
les petits lapins deRavensbrück
L e nouveau chauffeur l ’attendait, figé au garde-à-vous. Choisi par la Gestapo, ce remplaçant ne pouvait être qu’un homme sûr.
Le SS Obergruppenführer Reinhardt Heydrich, adjoint d’Himmler, chef du service de sécurité du Reich,
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