Les Médecins Maudits
évolutions. Puis elle allait prendre un bain ; bien souvent la baignoire était remplie de lait ou de madère et quelquefois elle confiait son corps aux mains expertes d’un masseur qui avait inventé pour elle un traitement à base de citrons d’Amérique du Sud. Mais l’ancienne dactylo d’une fabrique de cigarettes était passionnée par les tatouages et les infirmiers devaient lui signaler tous les déportés dont le corps s’ornait de portraits, d’inscriptions ou de « scènes artistiques ».
La Kommandeuse examinait le tatouage ; si elle estimait qu’il devait figurer dans sa collection, elle confiait le déporté à son Kapo favori, Karl Beigs. Le bon Karl piquait alors le « tableau vivant ». Les déportés des services pathologiques prélevaient le tatouage, le tannaient et l’offraient à la Kommandeuse. Un médecin SS Muller, suggéra au jeune docteur Wagner de préparer une thèse sur les tatouages. Wagner sans chercher à savoir d’où provenaient les peaux se mit à l’ouvrage. Le « médecin-directeur » des camps, le colonel SS Lolling, encouragea ses travaux, lui demanda de prendre en considération le grain, l’épaisseur de la peau. Il réclamait souvent des spécimens pour « épater » ses amis. La Kommandeuse se fit préparer une « grande surface » pour équiper l’abat-jour du bureau de son mari. Le support était un fémur. M me Koch eut trois paires de gants en peau tatouée… La collection devint industrie. On prépara des jaquettes de livres, des étuis de canif et de poudriers.
Les Américains en libérant le camp au mois d’avril 1945 découvrirent une autre collection : des têtes réduites à la manière Jivaro. Des têtes de la grosseur d’un poing avec moustaches et longue chevelure. Les deux plus « réussies » présentées sur socle d’ébène avaient appartenu à deux Polonais qui entretenaient des relations « dégradantes » avec des citoyennes allemandes. Les coupeurs de tête de Buchenwald réduisirent et naturalisèrent « à la perfection » plusieurs dizaines de « types différents ». Du vrai travail de sorcier d’Amazonie. La « recette » avait été communiquée par les spécialistes de l’Ahnenerbe à la demande du médecin-colonel SS Lolling.
9
« je ne veux plus voir de roses dans les camps… »
L e prince roumain Georgiu R… portait sur son corps plusieurs centaines de tatouages. Plus qu’un tableau, une grande exposition érotique.
— Chaque scène a été croquée sur place, dans tous les ports du vieux et du nouveau monde, j’ai relevé moi-même les dessins.
La Kommandeuse n’eut jamais connaissance de cette collection unique, le prince roumain était interné à Dachau sur ordre d’Himmler. Homosexuel, ses liaisons amoureuses dans les milieux nationaux-socialistes provoquèrent la colère du Reichsführer. Himmler nous l’avons vu, avait voulu sauver les prostituées de leur déchéance, il s’attaqua, en même temps, aux déportés qui affichaient sur leur pyjama rayé le triangle rose de l’infamie. Il réunit les chefs de l’inspection des camps et leur déclara :
— Je ne veux plus voir de roses dans les camps.
Et il leur raconta l’aventure du prince roumain, dossiers médicaux à l’appui.
Himmler avait envoyé le prince à Dachau car il pensait « que le dur labeur et les conditions pénibles de l’existence dans un camp de concentration, contribueraient à sa guérison rapide xlii » .
Le prince, personnage influent de Munich, ne pouvait tout de même pas être traité comme un vulgaire Juif. Le commandant se déplace en personne pour le recevoir :
— Vous allez bien aller à la douche ?
Le prince éclate en sanglots. Évidemment, il ne désire pas que des profanes feuillètent son « album vivant ».
Le médecin l’examine et rédige son rapport à Himmler.
— La place de cet homme qui avoue lui-même « éprouver depuis son adolescence des désirs sexuels immodérés qu’il n’arrive pas à satisfaire » n’est pas dans un camp de concentration mais dans une maison de santé.
En attendant la décision d’Himmler, il est attaché à son lit ; le lendemain il s’écroule lorsqu’on veut lui faire pousser un wagon. Il mourra deux jours plus tard… d’ennui. Himmler se penche longuement sur ce cas, dépêche à Dachau des médecins, des professeurs d’université, réclame rapports sur rapports. Et comme chaque spécialiste lui confie :
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