Les Médecins Maudits
camionnette stoppa devant l’entrée de l’Institut. Hirt ne s’intéressera plus jamais à cette « collection ». Pendant plus d’un an, les préparateurs se contenteront d’ajouter, de temps à autre, de l’alcool dans les cuves. Devant l’avance des Alliés, l’Ahnenerbe qui a chargé Hirt de recherches urgentes sur les gaz de combat s’inquiète de la présence de ces commissaires compromettants. Le directeur de l’Ahnenerbe écrit au grand patron des médecins nazis, Rudolf Brandt :
— En raison du travail scientifique considérable nécessaire, la préparation des squelettes n’est pas encore terminée. Hirt demande ce qu’il faut faire de la collection au cas où Strasbourg serait en danger. Il peut les mettre à macérer et les rendre méconnaissables. Mais dans ce cas une partie de l’ensemble du travail aurait été faite en vain et ce serait une grande perte scientifique pour cette collection unique car les moulages ne seraient plus possibles. La collection, telle qu’elle existe actuellement, n’attire pas l’attention. On pourrait dire qu’il s’agit des restes des cadavres pris à l’Institut d’Anatomie où les Français les avaient laissés et on les brûlerait.
Le professeur Hirt ordonne à ses assistants de laboratoire de découper les cadavres et de les faire brûler au four crématoire de la ville. Mais les hommes de Leclerc arrivèrent plus vite que ne le souhaitait Hirt. Il restait encore les corps d’une quinzaine de commissaires dans le fond des cuves.
*
* *
Dans la perspective de l’ouverture du « musée des sous-hommes », dont rêvait Hirt depuis le début de la guerre et que les tracasseries administratives et ses expériences sur les gaz de combat retardaient sans cesse, l’Ahnenerbe avait demandé à tous ses fidèles en poste dans les camps de concentration de mettre de côté les pièces anatomiques « particulièrement intéressantes et démonstratives ». Les bocaux s’entassaient dans les caves de l’Ahnenerbe.
À Oranienburg-Sachsenhausen, le médecin SS Baumkötter voulait prouver que les êtres inférieurs avaient un pénis… inférieur. Le scalpel dans une main, le flacon de formol dans l’autre, il parcourait les couloirs de la morgue (en permanence un millier de cadavres) et découpait « la pièce » dont il estimait la conservation nécessaire. Mais il alla plus loin. On le vit suivre avec passion les visites médicales des infirmeries. Édouard Calic qui avait découvert ce « violon d’Ingres » de Baumkötter écrit dans son livre Himmler et son Empire :
« Maintenant, je m’explique pourquoi lorsque l’on se fait porter malade, les médecins SS commencent par ordonner qu’on laisse tomber son pantalon et qu’ensuite du bout de leurs chaussures, ils relèvent nos chemises. D’abord pour repérer les Juifs mais aussi pour découvrir des anomalies ou des monstruosités particulières. Le déporté politique Walter Claux, matricule numéro 40603 a même confirmé, par écrit, après la guerre, que Baumkötter s’arrêta devant le prisonnier Rudolf Schultze et lança aux médecins qui l’accompagnaient :
« Mes enfants, regardez ce morceau ! Ce gars-là est monté comme un étalon ! Sa verge a la forme d’un pied de cheval coupé. Ça ! c’est quelque chose pour nous ! »
Et Calic conclut :
J’ignore si « la chose » a pris sa place parmi les flacons remplis de formol de l’armoire dans la cave secrète de Sachsenhausen, par contre, pendant mon séjour au camp j’ai pu constater moi-même que certains détenus d’un aspect physique extravagant, qu’on avait décidé, par l’appât de quelques cigarettes, à se porter volontaires pour expérimenter un médicament, ne reparaissaient plus.
*
* *
Un livre ne suffirait pas à raconter les « extravagances criminelles » de la femme du commandant de Buchenwald, Ilse Koch. La« Kommandeuse » se faisait bâtir un manège d’équitation et comme elle était pressée de monter une pouliche que lui avaient offert « en participation » certains de ses amants et en particulier le docteur Hoven dont nous reparlerons dans le chapitre sur le typhus, une centaine de déportés s’épuisèrent jour et nuit à la construction de cet édifice de cent mètres de long. Trente d’entre eux périrent au pied des murs, des boiseries et des glaces du manège. Tous les matins la Kommandeuse chevauchait dix minutes. L’orphéon des SS accompagnait ses
Weitere Kostenlose Bücher