Les Médecins Maudits
distillée et il éloigna le « mourant » des yeux d’Eisele, en le mettant à l’abri dans le pavillon des tuberculeux où par crainte de la contagion, le médecin SS n’entrait jamais. Nebig y est resté caché jusqu’en 1945.
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Il est certain que d’autres médecins, « pour voir » opèrent des déportés dans le secret des laboratoires. Les corps qu’ils étudiaient sur les marbres des morgues ne leur suffisaient pas. L’observation directe sur un être vivant leur semblait plus profitable, plus scientifique. Mais les preuves manquent aujourd’hui pour accuser tel ou tel médecin. On sait par exemple, qu’à Dachau disparaissaient tous les déportés dont un membre était atrophié… Aucune preuve également sur les expérimentations de médicaments nouveaux, sauf pour le Polygal de Rascher. On sait, pour avoir retrouvé des lettres dans les archives d’Himmler, qu’un médicament : le diamino-diphényl-sulfone fut essayé à Buchenwald sur des malades. Il est probable que des dizaines, peut-être des centaines de drogues furent testées sur les consultants des infirmeries ou les prisonniers des forteresses. Ainsi un Lillois, Émile Rose, m’a remis un épais dossier sur les « mystères médicaux » de la forteresse de Kassel :
— J’étais seul dans une cellule avec un médecin allemand et des infirmiers. Ils m’ont fait régulièrement des piqûres de toutes sortes : intraveineuses, intramusculaires, dans la colonne vertébrale et dans les testicules…
Aujourd’hui, je suis totalement dénaturé.
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Les médecins du front, inlassablement, rédigeaient des rapports sur les méfaits des sérums antigangréneux allemands qu’ils administraient à leurs blessés. Très souvent, après l’injection, le malade mourait. Les sérums français, par contre, étaient efficaces et ne provoquaient aucun trouble. L’Académie de Médecine militaire et le docteur Mrugowsky, hygiéniste en chef de la Waffen SS estimèrent que le phénol contenu dans le seul sérum allemand était responsable des accidents. Au cours d’une réunion à l’Académie. Mrugowsky chargea Ding de participer à une séance d’« euthanasie » dans un camp « pour voir » comment tuait le phénol.
Ding, un jeune médecin SS, dirigeait le centre expérimental du typhus à Buchenwald xlvi . Il ne se soucia pas de savoir si les cobayes choisis étaient condamnés à mort. Les SS poussèrent dans une salle de l’hôpital cinq déportés, torse nu. Le médecin de garde leur avait dit qu’ils allaient être vaccinés contre le typhus. Ils étaient détendus, souriants, heureux d’échapper au travail des commandos. Ding a rédigé un rapport :
— Les prisonniers s’assirent tranquillement sur une chaise, sans émotion, à côté d’une lampe. Un infirmier bloqua la veine du bras et le docteur Hoven injecta rapidement vingt centimètres cubes de phénol brut non dilué. Ils moururent pendant l’injection, sans signes de douleur en moins d’une seconde.
Expérience hautement scientifique comme on a pu le constater ! Mais, par les yeux de Ding, les chefs de la Médecine militaire « avaient vu ».
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Au cours de l’été 44, dans la région de Cracovie, un fonctionnaire polonais était légèrement blessé par un résistant. Deux heures après il mourrait en présentant tous les symptômes d’un empoisonnement. Le résistant fut retrouvé. Les balles de son revolver étaient creuses et contenaient des cristaux. L’Institut de Chimie de la Police criminelle analysa le poison : c’était de l’aconitine xlvii d’origine soviétique. Des balles furent fabriquées artisanalement en laboratoire. Étaient-elles aussi radicales que les projectiles soviétiques ? Il fallait voir. Mrugowsky et Ding surveilleraient l’expérimentation. Le 11 septembre 1944, cinq déportés durent s’allonger dans la cour d’un block de Sachsenhausen. Un sous-officier SS chargea son 7,65 et en présence des médecins tira dans la cuisse gauche des « sélectionnés ». Le SS, ému sans doute, tremblait. Il blessa trop gravement deux détenus. Mrugowsky écrivit dans son rapport :
— Ces deux sujets furent abandonnés.
Ils agonisèrent sans aucun doute dans un coin alors que le groupe d’observateurs se penchait sur les trois autres blessés ; à moins qu’un drame se soit joué dans cette cour du block et que les spectateurs aient voulu le cacher. Ding confia beaucoup plus tard à son
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