Les Médecins Maudits
guerre. Son caractère était plein de contradictions.
C’est encore à Eugène Kogon que nous emprunterons la description de l’expérience sur cinq déportés allemands :
— J’avais l’impression que l’idée provenait de Ding et qu’il avait obtenu l’autorisation d’effectuer ces expériences. Le docteur Koch de la firme Madaus avait découvert le R. 17 qui fut, plus tard, utilisé par la population lors des attaques par les bombes incendiaires. Par les soins de Koch et du chef de la police de Dresde, le contenu d’une bombe au phosphore fut envoyé à Buchenwald. Des déportés du block 46 qui avaient survécu à d’autres expériences (typhus) se virent appliquer ce phosphore liquide sur les avant-bras… Il en résulta des brûlures sérieuses.
Ding devait dicter son rapport à Kogon. Ce texte a été retrouvé :
— Une mixture de caoutchouc phosphoré est appliquée sur une surface cutanée de sept centimètres sur trois et immédiatement enflammée. Après une ignition de vingt minutes, le feu fut éteint avec de l’eau…
Il est inutile de poursuivre… Les blessures traitées au R. 17, au sulfate de cuivre, à l’huile de foie de morue ou tout simplement à l’eau, furent supportées par les « cobayes » près de deux mois dans des souffrances que l’on peut imaginer, et cela alors que des milliers de civils et même des déportés avaient été brûlés au cours de bombardements.
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Himmler, si l’on en croit Gebhardt : « était hostile à la médecine classique et très accessible à tout ce qui allait des sciences naturelles à la biochimie. »
Grawitz suggéra à son Reichsführer d’essayer des traitements biochimiques et homéopathiques pour guérir les phlegmons. Un biochimiste SS, Theodor Lauer venait justement
de découvrir les vertus miracles du potassium phosphorium et les phlegmons pullulaient dans tous les camps de concentration. Himmler ordonna donc que l’on provoque des phlegmons sur des détenus sains. Il aurait été trop facile d’essayer les poudres du docteur Lauer sur des déportés déjà malades.
Heinrich Wilhelm Stoer infirmier au block 1 de l’hôpital de Dachau suivit toute l’expérience.
— Une dizaine de déportés allemands furent infectés avec du pus. Certains étaient traités par les sulfamides ou chirurgicalement, la plupart biochimiquement. Ces derniers moururent tous à l’exception d’un seul.
Le résultat n’était-il pas concluant ?
Non ! Il fallait essayer encore.
— Le deuxième groupe était constitué par quarante prêtres de toutes nationalités et des frères des Écoles chrétiennes. Ils avaient été sélectionnés par le médecin-chef Walda et conduits à la salle d’opération où les docteurs Schuetz et Kiesswetter les opérèrent. Ils étaient bien portants et vigoureux. J’ai vu injecter le pus. Douze devaient mourir.
Grawitz vint sur place constater l’échec de la poudre de perlimpinpin du grand biochimiste SS Theodor Lauer lxxxi .
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un marteau-pilon pour testerun casque de football
— Allons ! Asseyez-vous sur ces chaises.
Les cobayes du block 36 de Buchenwald attendaient depuis une heure cet ordre. Exténués, tremblants de peur, ils fixaient ces étranges petites boîtes de bois posées sur une table. Ils ne comprenaient pas. Tous étaient nus et leur maigreur les faisait ressembler à un groupe d’écorchés vifs. Pourquoi eux ? L’anonyme haut-parleur les avait convoqués à la porte du camp. Ainsi ils ne découvriraient qu’au dernier moment leur véritable destination. Ils pourraient imaginer… le bruit des chaînes les réveilla.
Le block 46 était isolé, entouré de fils de fer barbelés, portes et fenêtres bouclées. Cette construction en pierre, véritable « clinique de luxe », abritait en permanence quatre cents déportés. Le personnel infirmier était nombreux, soumis à une discipline stricte et au mutisme : l’alimentation très riche et variée, la lecture des volumes de la bibliothèque d’Iéna « gracieusement prêtés, recommandés lxxxii » .
Les occupants cobayes « sélectionnés » par les bureaux du département politique portaient, en principe, le triangle vert des criminels. Mais le Kapo, certains infirmiers, les médecins même, modifiaient la liste et remplaçaient les noms des victimes désignées par ceux que leur soufflaient leurs amis, leurs protégés, d’autres Kapos, les membres influents du Comité
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