Les Médecins Maudits
années d’interruption de mon travail à Berlin où je dirigeai le département des virus et des tumeurs. En raison de l’incorporation de la Prusse au Reich, la section bactériologique fut dissoute et j’entrai à l’Institut Robert Koch où je devins chef de service et professeur le 1 er mars 1936. Le 1 er octobre 1941, nommé professeur de bactériologie et d’hygiène à l’université de Strasbourg, je devins en même temps directeur de l’Institut d’Hygiène. Je restai là jusqu’à la prise de Strasbourg.
Nous voyons donc que les « services passés » du professeur Haagen sont dignes d’admiration. Les agents secrets des différents camps vainqueurs qui se lancent au lendemain de la victoire à la poursuite des « cerveaux » en liberté et qui pratiquent allègrement le kidnapping, l’ont couché sur leur liste.
— C’est à Saalfeld sur la Saale en Thuringe où j’avais transporté une partie de mon Institut que je fus capturé en avril 1945 par les Américains. Au mois de juin, j’étais relâché. Je reçus alors l’invitation du gouvernement militaire russe de diriger un institut nouvellement fondé pour les recherches sur les virus et les tumeurs. J’acceptai et je travaillai à cet Institut de Berlin jusqu’au 16 novembre 1946. Ce jour-là, à l’occasion d’une visite à Zehlendorf dans le secteur américain, je fus brusquement arrêté par un policier militaire anglais, sans mandat ni document. Je fus emmené de force et caché pendant deux mois et demi, dans la prison anglaise de Minden. Ce fut de toute évidence un cas de kidnapping. En janvier 1947 je fus remis aux autorités françaises et amené à Strasbourg.
Nous ne connaîtrons sans doute jamais les dessous de cette guerre que se livrèrent surtout Américains, Anglais et Soviétiques pour s’approprier les savants de l’ex-Reich. Les Français se réveillèrent trop tard. Par exemple, les atomistes d’Hitler avaient replié leurs piles et leurs dossiers dans une caverne, sous une église. Les Français arrivant, regardent et repartent. Deux jours plus tard, les Américains qui savent que la bombe A « aurait pu être prête dans les huit mois » déménagent matériel et personnel. Joliot-Curie ne retrouvera sur place que quelques débris de coke :
— C’était pour la pile ?
— Non pour se chauffer.
Etc… Etc… Enfin les Français récupèrent Haagen. Ce qui est naturel puisqu’il a exercé sur le territoire national pendant la guerre.
Les charges s’accumulent. D’abord des lettres étonnantes découvertes à Strasbourg. Haagen venait de prendre livraison d’un convoi « expédié » d’Auschwitz :
« Le 13 décembre, on a procédé à une inspection des prisonniers en vue de déterminer leur aptitude aux expériences des vaccins typhiques. Sur les cent prisonniers choisis, dix-huit sont morts au cours du transport, douze seulement sont susceptibles d’être utilisés pour ces expériences pourvu qu’on puisse les remettre en état. Cela prendra environ deux à trois mois. Les autres sont dans un tel état qu’ils ne peuvent être utilisés à ces fins. Les expériences sont destinées à tester un vaccin nouveau ; elles ne peuvent amener de résultats fructueux qu’avec des sujets normalement nourris dont la force physique est comparable à celles des soldats. Je vous demande donc de m’envoyer cent prisonniers, de vingt à quarante ans, bien portants et constitués physiquement de façon à fournir un matériel de comparaison. »
Lettre éloquente, s’il en est, sur les conditions physiques des déportés d’Auschwitz et le déroulement de leur transport. Haagen avait pourtant demandé des hommes solides ! S’il désirait des déportés « normaux » il n’avait qu’à puiser dans le camp de Natzweiler. Stupide administration ! L’infirmier déporté Hendrick Nales reçut Haagen pour sa première visite à la station Ahnenerbe de Natzweiler-Struthof :
— C’était fin 1943. Peu de temps après l’arrivée d’un transport de tziganes de Birkenau près d’Auschwitz, pour les expériences du typhus. Haagen examina ces gens et les fit passer aux rayons X. Il trouva qu’il ne pouvait pas les utiliser. Il protestera à Berlin en réclamant des sujets plus vigoureux… Les survivants firent partie d’un Himmelfahrtstransport…
Himmelfahrtstransport : ascension au ciel ; euphémisme habituel au camp pour désigner le crématoire. Haagen réclamait
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