Les murailles de feu
coiffé d’un casque doré garni de grosses ailes de griffon. Ces marins, comme Sa Majesté le sait, portent des bandes de laine aux couleurs de leurs régiments croisées sur la poitrine et nouées à la taille ; ce soir-là, celui-là s’en était emmitouflé jusqu’aux oreilles pour se protéger du vent, ménageant deux fentes seulement pour les yeux. Il tenait devant lui son bouclier d’osier tressé, qui oscillait dans le vent. Point n’était besoin d’être savant pour savoir qu’il n’était pas heureux dans ce froid, en compagnie d’un fanal qui grinçait dans le vent.
Suicide avança jusqu’à une trentaine de pas de la sentinelle ; il dépassa, en rampant sur le ventre, les tentes des serviteurs de Sa Majesté et l’enclos des chevaux. Je suivais à une demi-longueur derrière lui. La sentinelle tressaillit quand elle vit surgir des ténèbres la silhouette bondissante du Scythe qui se précipitait sur lui, deux javelines dans la main gauche et la troisième dans la droite, près de l’oreille, en position de lancer. L’image dut paraître à l’Égyptien tellement incongrue qu’il n’en fut pas alarmé ; de la main qui tenait la lance, il abaissa la bande qui lui masquait le visage, paraissant marmonner, irrité par la nécessité de réagir à cette apparition indésirable.
La première javeline de Suicide s’enfonça si fortement dans la gorge de l’homme qu’elle ressortit par la nuque, colorée de rouge. La sentinelle tomba d’un coup. L’instant suivant, Suicide, agenouillé sur lui, arrachait la javeline avec tant de violence qu’il tira avec la moitié de la trachée artère de sa victime.
La seconde sentinelle, à dix pas de là, se retournait stupéfaite, quand Polynice se précipita sur lui et lui administra sur la droite un coup de bouclier tellement féroce que l’homme fut littéralement projeté en l’air. Il s’écrasa sur le sol, hors de souffle, et le pique-lézard de Polynice lui transperça la poitrine avec tant de force qu’on entendit craquer les os en dépit du vacarme de la tempête.
Les commandos coururent à la tente. L’épée d’Alexandros fendit la toile en diagonale. Dienekès, Doréion, Polynice, Lachide, puis Alexandros, Chien, le Coq et le Joueur de Ballon s’y engouffrèrent. Nous avions été repérés. Les sentinelles postées de part et d’autre de la tente donnèrent l’alarme. Tout s’était passé si vite que les gardes n’en croyaient pas leurs yeux. Ils avaient visiblement ordre de rester à leurs postes et c’est du moins ce que firent, mais à demi, l’air totalement désemparés, les deux gardes qui avancèrent vers Suicide et moi, les deux seuls qui étions à l’extérieur de la tente. J’avais engagé une flèche dans mon arc et j’en tenais trois autres dans mon poing gauche, prêt à tirer.
— Arrête ! me cria Suicide dans la tempête. Fais-les rire.
Je le crus devenu fou. Mais ce fut bien ce qu’il fit. Il se lança dans des grimaces, interpellant les sentinelles dans sa langue et se démenant comme s’il faisait un numéro de gymnastique dont ils avaient manqué le début. Ils en restèrent interdits pendant quelques instants. Puis une douzaine de marins arrivèrent et ce fut alors que nous nous engouffrâmes à notre tour dans la tente.
L’intérieur était parfaitement obscur et rempli de femmes qui criaient. Je ne voyais nulle part le reste des nôtres. Une lampe scintilla à travers la tente et j’aperçus Chien. Une femme lui mordait le mollet. Une lampe brilla dans l’autre chambre ; elle scintilla sur l’épée du Skirite, quand il l’abattit comme un hachoir et trancha la nuque de la femme. Chien fit un geste pour indiquer la chambre.
— Mets le feu !
Nous étions dans le sérail des concubines. L’ensemble du pavillon royal devait compter une vingtaine de chambres. Qui diable savait où se trouvait celle du roi ? Je me jetai sur la seule lampe allumée et la lançai dans une penderie d’effets féminins. L’instant d’après, tout ce lupanar poussait des cris.
Les marins accouraient derrière nous, parmi les concubines hurlantes. Nous filâmes après Chien, qui s’élançait dans un corridor. À l’évidence, nous étions tout à l’arrière du pavillon royal. La chambre suivante devait être celle des eunuques. Je vis Dienekès et Alexandros, leurs boucliers côte-à-côte, se lancer contre une paire de titans au crâne rasé, sans même prendre la peine de les frapper, se
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