Les murailles de feu
quand je levai les yeux et vis l’acier bruni d’une hache qui se dirigeait vers mon crâne. L’instinct me fit ployer les jambes, mais il me parut qu’une éternité s’écoulait avant que mon corps cédât. La hache était si proche que j’entendais son bourdonnement et que je voyais la plume d’autruche pourpre fixée au manche et la marque du griffon à deux têtes sur l’acier. Le tranchant était à trois mains de ma tête quand un pilier de cèdre que je n’avais pas remarqué l’intercepta. Il s’enfonça profondément dans le bois. J’entrevis la tête de celui qui avait dû la lancer, puis la paroi de la tente se déchira entièrement. Une vingtaine de marins égyptiens déferlèrent. La tempête aussi s’engouffrait dans la tente. Je reconnus Tommie qui se heurtait à Polynice, bouclier contre bouclier. Les oiseaux infernaux se débattaient partout. Chien tomba, une hache à deux tranchants lui ayant ouvert le ventre. Une flèche perça la gorge de Doréion, il chancela, crachant du sang. Dienekès, frappé, recula vers Suicide. Seuls demeuraient à l’avant Alexandros, Polynice, Lachide, le Joueur de Ballon et le Coq. Le Joueur de Ballon chancela à son tour. Polynice et le Coq furent débordés par les marins.
Alexandros était seul. Il avait repéré Sa Majesté ou du moins un dignitaire qu’il prenait pour Elle et, la lance dardée au-dessus de son oreille droite, il se préparait à l’expédier par-dessus le mur des défenseurs ennemis. Je voyais toute sa force se mobiliser, du pied à la jambe pour administrer son coup, mais, juste au moment où l’épaule s’avança et le bras se mit en extension, un dignitaire perse, j’appris plus tard que c’était le général Mardonius, lui administra un coup de cimeterre si fort et si précis qu’il lui trancha le poignet.
De même que, dans les moments de grande urgence, le temps semble ralentir comme pour permettre à l’esprit de suivre le déroulement des instants, je vis la main d’Alexandros encore serrée sur la lance, suspendue en l’air puis tomber, tenant toujours son arme. Son bras droit poursuivit son mouvement, tandis que le sang jaillissait du moignon. Alexandros ne se rendit d’abord pas compte de ce qui lui était advenu, ni de la raison pour laquelle la lance n’était pas partie. La frustration et l’incrédulité emplirent ses yeux. Un coup de hache sur son bouclier le fit tomber à genoux. J’étais encerclé de trop près pour pouvoir me servir de mon arc et le défendre. Je me jetai sur la lance tombée afin de l’enfoncer dans le dignitaire, avant qu’il décapitât Alexandros.
Mais Dienekès était déjà accouru pour protéger Alexandros de son bouclier.
— Sortez ! cria-t-il dans la cohue.
Il remit Alexandros sur ses pieds comme un paysan tire un agneau du torrent. Nous nous retrouvâmes dehors, dans la tempête.
Dienekès était à deux pas de distance, mais à cause du vent je ne pus entendre l’ordre qu’il nous cria. Soutenant Alexandros, il indiqua la colline au-delà de la citadelle. Nous ne pouvions fuir par le torrent, nous n’en avions pas le temps.
— Couvre-les ! me cria Suicide à l’oreille.
Deux silhouettes aux capes écarlates me frôlèrent, mais je ne pus les reconnaître. On en emportait deux autres. Doréion sortit en titubant du pavillon, mortellement blessé et encerclé par une nuée de marins égyptiens. Suicide leur expédia trois javelines à une telle vitesse que chacune d’elles parut surgie du ventre des victimes, comme par magie. Je tirai aussi. Un marin décapita Doréion. Derrière lui, le Joueur de Ballon surgit de la tente et lui planta sa hache dans le dos, puis il tomba à son tour, sous une grêle de coups de pique et d’épée. Je n’avais plus de flèches et Suicide, plus de javelines. Il voulut s’élancer vers l’ennemi les mains nues. Je le tirai en arrière par la ceinture. Doréion, Chien et le Joueur de Ballon étaient morts. Les vivants avaient plus qu’eux besoin de nous.
4
Il n’y avait, à l’est du pavillon royal, que le haras de Sa Majesté et les tentes des garçons d’écurie. Ce fut à travers cet enclos que nous fuîmes. Des brise-vent de toile partageaient l’enclos en carrés, et nous paraissions courir à travers du linge mis à sécher. Quand Suicide et moi rattrapâmes nos camarades, le sang de la peur nous battant encore aux tempes, le Coq nous fit de grands signes de ralentir et de marcher.
Nous nous trouvions à
Weitere Kostenlose Bücher