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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Pressfield
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portant.
    Nous restâmes dans les montagnes et si haut que les fourrures des martres et des renards y blanchissaient à l’instar de la neige. Nous dormions dans des abris abandonnés par les bergers ou bien dans des grottes de glace que nous creusions avec des haches de pierre ; nous en recouvrions le sol de branches de pins et nous nous pelotonnions sous nos trois manteaux comme des chiots. Je suppliai Bruxieus et Diomaque de m’abandonner et de me laisser mourir paisiblement de froid. Ils insistèrent pour que j’allasse voir un médecin en ville. Je refusai énergiquement. Je ne me présenterais jamais plus à un étranger sans une arme en main. Bruxieus s’imaginait-il que les médecins avaient un plus grand sens de l’honneur que les autres ? Et quelle somme demanderaient-ils en paiement ? Quel usage profitable découvriraient-ils pour un esclave et un garçon infirme ? Et pour une fille de treize ans ?
    J’avais une autre raison de refuser. Je me détestais pour la façon éhontée dont j’avais crié sans arrêt pendant les heures qu’avait duré mon supplice. J’avais découvert mon cœur et c’était celui d’un couard. Je me portais un mépris sans rémission. Les récits qu’on m’avait faits des Spartiates me faisaient m’exécrer encore plus. Aucun d’eux n’eût crié merci comme je l’avais fait, sans trace de dignité. Le déshonneur de la mort de mes parents continuait de me tourmenter. Où étais-je donc, à leur heure de désespoir ? J’avais été absent quand ils avaient eu besoin de moi. Je me représentais sans fin leur massacre, et moi qui n’étais pas là. Je voulais mourir et le seul réconfort que j’éprouvais était que je mourrais bientôt et quitterais mon existence de déshonneur.
    Bruxieus devinait ces pensées et tentait avec douceur d’y remédier. Je n’étais qu’un enfant, me dit-il, et quels miracles de courage pouvait-on espérer d’un garçon de dix ans ?
    — À dix ans, les Spartiates sont des hommes, lui rétorquai-je.
    Ce fut la première et la seule fois que je vis Bruxieus céder à une colère physique. Il me saisit par les épaules et me secoua en m’ordonnant de le regarder.
    — Écoute-moi, garçon. Seuls les dieux et les héros peuvent être braves quand ils sont seuls. Un homme ne peut avoir de courage que d’une seule manière, quand il est avec ses camarades d’armes, ceux de sa tribu et de sa ville. La plus misérable de toutes les situations est celle de l’homme solitaire, sans les dieux de son foyer et sans sa ville. Un homme sans cité n’est pas un homme. C’est une ombre, une coquille vide, une plaisanterie. C’est ce que tu es devenu, mon pauvre Xéon.
    Il se redressa, les yeux pleins de chagrin. Je vis la marque de l’esclave sur son front et je compris. Il avait enduré cette situation pendant des années dans la maison de mon père.
    — Mais toi, tu t’es conduit comme un homme, petit oncle, lui dis-je, usant de la formule astakienne la plus affectueuse. Comment as-tu fait ?
    Il m’adressa un regard triste et doux.
    — L’amour que j’aurais porté à mes enfants, je te l’ai donné, petit neveu. C’était ma façon de répondre aux desseins inconnaissables des dieux. Mais il semble que les Argiens leur soient plus chers que je ne le suis. Il les a laissés me dérober la vie deux fois au lieu d’une.
    Loin de me réconforter, ces mots renforcèrent ma détermination à mourir. Mes mains étaient tellement enflées qu’elles avaient doublé de volume. Il en coulait du pus qui gelait de façon hideuse et que j’épluchais chaque matin sur ma chair déchirée. Bruxieus fit tout ce qu’il put en matière d’onguents et de cataplasmes, mais cela ne servait à rien. Les deux os métacarpes de ma main droite avaient été brisés et je ne pouvais ni fermer les doigts ni faire le poing. Pour me consoler, Diomaque compara mon infortune à la sienne, mais je lui rétorquai amèrement.
    — Tu peux toujours être une femme. Mais moi, que puis-je faire ? Comment tiendrais-je ma place dans une ligne de front si je ne peux saisir ni une épée ni une lance ?
    La nuit, les accès de fièvre s’accompagnaient de claquements de dents et je me blottissais dans les bras de Diomaque tandis que Bruxieus se lovait autour de nous pour nous tenir chaud. J’implorais les dieux sans relâche, mais ils ne m’adressaient même pas un soupir. Ils nous avaient abandonnés, c’était sûr, maintenant que nous

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