Les murailles de feu
protecteur. Alexandros était dévasté par sa mort.
Dienekès se retira avec Alexandros, son servant et moi-même pour toute compagnie, sous le temple d’Athéna Protectrice de la Cité, juste au-dessous de la pente qui commence à la statue de Phobos, le dieu de la Peur. Dienekès était alors âgé, il me semble, de trente-cinq ans. Il avait remporté deux prix de vaillance à Érythrée, contre les Thébains, et à l’Achilléion contre les Corinthiens et leurs alliés arcadiens.
Pour autant qu’il m’en souvienne, voici comment l’aîné sermonna son protégé.
D’un ton doux et affectueux, il évoqua d’abord ses souvenirs du temps où, plus jeune encore qu’Alexandros, il avait vu pour la première fois un camarade fouetté à mort. Et il raconta ses propres et nombreux souvenirs de flagellation sur la Piste.
Puis il aborda ce rituel de questions qui constitue, avec les réponses, le mode d’éducation lacédémonien.
— Réponds à ceci, Alexandros. Quand nos compatriotes triomphent à la guerre, qu’est-ce qui défait les ennemis ?
— Notre acier et notre adresse, répondit le garçon avec le laconisme Spartiate.
— C’est cela, oui, dit Dienekès avec douceur, mais il y a quelque chose de plus. C’est ceci.
Et son geste désigna la statue de Phobos.
— La peur. C’est la peur qui défait nos ennemis. Maintenant réponds. Quelle est la source de la peur ?
Et, comme Alexandros ne savait répondre, Dienekès se toucha la poitrine et l’épaule.
— La peur sort de la chair. C’est elle, déclara-t-il, qui est la source de la peur.
Alexandros écoutait avec la sombre intensité d’un garçon qui sait que toute sa vie sera vouée à la guerre, que les lois de Lycurgue lui interdisent à lui et à tous les autres Lacédémoniens de vingt à soixante ans toute autre activité que la guerre, et qu’aucune puissance sous le soleil ne l’en dispensera de sitôt ; sa place est dans la ligne de front et dans les chocs du bouclier contre le bouclier et du casque contre le casque.
— Maintenant réponds-moi encore, Alexandros. As-tu trouvé aujourd’hui aucun signe de méchanceté dans la manière dont les eirenes administraient leurs coups ?
Le garçon répondit que non.
— Dirais-tu qu’ils se sont comportés de manière barbare ? Qu’ils ont pris plaisir à faire souffrir Trois-Pieds ?
— Non.
— Leur intention était-elle de briser sa volonté ou son courage ?
— Non.
— Quelle était leur intention ?
— De renforcer son esprit contre la douleur.
Tout au long de cette conversation, l’aîné gardait un ton doux et affectueux. Rien de ce qu’Alexandros ferait ne la rendrait moins aimante ou froide. Tel est le génie particulier du système Spartiate qui consiste à apparier chaque garçon à l’entraînement avec un mentor qui n’est pas son père, car le mentor peut dire ce que le père s’interdirait de dire, et le garçon peut lui confier ce qu’il rougirait d’avouer à son père.
— La journée fut rude, n’est-ce pas, mon jeune ami ?
Dienekès demanda ensuite au garçon comment il se représentait la bataille, la vraie, en comparaison avec ce qu’il venait de voir. Mais il n’escompta pas de réponse.
— N’oublie jamais, Alexandros, que cette chair, ce corps ne nous appartiennent pas. Remercies-en les dieux. Si je pensais que cette matière était mienne, je ne pourrais pas avancer d’un pas vers l’ennemi. Mais elle n’est pas à nous, mon ami. Elle appartient aux dieux et à nos enfants, nos pères et mères et à ceux de Sparte qui naîtront dans cent ou mille ans. Elle appartient à la ville qui nous donne tout ce que nous avons et qui n’en exige pas moins en retour.
L’homme et le garçon descendirent vers la rivière. Ils suivirent le sentier qui menait au myrte à double tronc qu’on appelait les Jumeaux et qui était sacré pour les descendants de Tyndarée auxquels appartenait la famille d’Alexandros. Ce serait là, dans la nuit de son épreuve et de son initiation suprêmes, qu’il se rendrait, seul, à l’exception de sa mère et de ses sœurs, pour recevoir le salut et la reconnaissance des dieux de sa lignée.
Dienekès s’assit sous le myrte et fit signe à Alexandros de s’asseoir près de lui.
— Personnellement, je pense que ton ami Trois-Pieds a commis une folie. Son comportement d’aujourd’hui reflétait plus la témérité que le vrai courage, l ’andreia. Il a privé la cité de
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