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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Pressfield
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peux courir aussi vite que n’importe lequel de ces Spartiates. J’ai quatorze ans, mais je pourrais me battre avec n’importe quel homme de vingt ans et lui faire mordre la poussière. Et pourtant me voilà dans cette chemise de nuit d’imbécile, tenant une chèvre en laisse.
    Et il jura qu’un jour il volerait une xyele et couperait la gorge d’un Spartiate. Sur quoi, je le priai de ne pas tenir ce genre de propos devant moi.
    — Qu’est-ce que tu feras ? Tu me dénonceras ?
    Il savait que je ne le ferais pas.
    — Mais par les dieux, je le jure, dis-je en levant la main, si tu lèves une seule fois la main contre eux, je te tue.
    Il ricana.
    — Si tu te crevais les yeux avec un bout de bois, tu ne serais pas plus aveugle que tu ne l’es.
    L’armée atteignit la frontière à Oion, à la tombée de la nuit du second jour, et nous fûmes à Sparte douze heures plus tard. Des éclaireurs nous avaient précédés et la cité connaissait depuis deux jours les noms des tués et des blessés. Les cérémonies funéraires étaient déjà préparées et elles seraient célébrées dans la quinzaine.
    Ce soir-là et le jour suivant furent consacrés à décharger les chariots, à nettoyer et refourbir les armes et armures, fixer à neuf les têtes de lances et raffermir les armatures de bois des boucliers, défaire les chariots et ranger leurs caisses, s’occuper des animaux de trait et de ceux du troupeau, leur donner à boire, les panser et les envoyer à la garde des hilotes dans les terres auxquelles ils appartenaient. Le deuxième soir, les pairs retournèrent au réfectoire.
    La soirée qui suivait une bataille était par tradition une cérémonie solennelle ; on y célébrait les camarades tombés, on y faisait l’éloge des actes de courage et l’on y condamnait ceux qui étaient répréhensibles ; les erreurs étaient analysées afin qu’on en tirât des leçons et le bénéfice matériel de la bataille était mis de côté pour les besoins futurs.
    Les réfectoires des pairs sont toujours des havres de paix et d’intimité, où toutes les conversations sont privées. C’est là qu’après de longues journées des amis peuvent se laisser aller en confiance, épancher leurs cœurs et goûter aux plaisirs d’un bol de vin ou deux, sans jamais d’excès.
    Ce soir-là, toutefois, ne fut guère convivial. Les âmes des vingt-huit disparus pesaient sur la cité. Les scrupules des soldats aussi ; ils eussent pu faire mieux ou plus, plus vite aussi et sans le souci de leur propre vie. Cette censure secrète les rongeait et nul prix ni décoration ne l’eussent atténuée.
    — Eh bien, déclara Polynice en hélant Alexandros d’un air sévère, qu’en as-tu pensé ?
    Il voulait parler de la guerre, de la présence à la guerre, crue, totale. La soirée s’était avancée. Le second service ou epaikla, venaison et pain de blé, était passé. Les seize pairs du réfectoire Deucalion étaient rassasiés ; ils reposaient sur leurs lits de bois. L’on avait le loisir de convoquer les garçons qui servaient là pour s’instruire et leur faire passer un examen.
    Alexandros se tint devant ses aînés, les mains enfouies dans les plis de sa tunique, les yeux obstinément baissés, car indignes de se poser sur le visage d’un pair.
    — Quelle a été ton impression de la bataille ? demanda Polynice.
    — Elle m’a rendu malade, répondit Alexandros.
    Le garçon confessa qu’il n’avait pas retrouvé le sommeil depuis lors, ni sur le navire ni lors du retour au foyer. S’il fermait les yeux ne fût-ce qu’un instant, dit-il, il revoyait les massacres dans toute leur horreur et en particulier le dernier spasme de son ami Mérion. Sa compassion, reconnut-il, allait autant aux morts ennemis qu’aux victimes héroïques de sa propre cité. Quand il fut pressé sur ce dernier point, le garçon qualifia le massacre de la guerre de « barbare et répugnant ».
    — Barbare et répugnant, dis-tu ? demanda Polynice, que la colère empourprait.
    Au réfectoire, les pairs sont encouragés, quand ils l’estiment utile à la formation de la jeunesse, à mettre sur la sellette un garçon, voire l’un des leurs, et à l’invectiver de la façon la plus rude et la plus impitoyable. Cette épreuve, appelée arosis, vise à endurcir contre l’insulte et à fortifier le caractère contre la rage et la peur, deux maux qui participent à la possession. La réaction que les pairs apprécient le

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