Les murailles de feu
livraient à la boxe ou à la lutte s’interrompaient pour l’observer, dans la lumière adoucie du crépuscule, quand il s’entraînait dans le Grand Anneau en préparation pour les jeux d’Olympie, de Delphes ou de Némée, en compagnie d’autres athlètes, et quand, avec eux, il revêtait son armure pour la course finale en armure sous la surveillance des entraîneurs.
Tel était Polynice : inégalable, l’un de ceux que les dieux ne concèdent aux humains qu’une fois par génération.
Alexandros aussi était beau. Même avec le nez cassé dont Polynice l’avait gratifié, sa perfection physique approchait celle de ce coureur incomparable. Peut-être était-ce la cause de la haine que l’homme portait au garçon : cet Alexandros, qui ne prenait son plaisir qu’à chanter et non sur les terrains d’athlétisme, n’était pas digne de cette beauté, parce qu’elle ne reflétait pas la vertu virile, l’ andreia qui imprégnait Polynice. Je soupçonnais pour ma part que l’aversion du coureur était accentuée par la faveur d’Alexandros auprès de Dienekès. Parmi tous les rivaux en excellence de Polynice, c’était mon maître que Polynice détestait le plus. Non pour les honneurs qui lui avaient été accordés par ses pairs après les batailles, car Polynice en avait reçu autant et il était de dix à douze ans plus jeune.
Non, c’était quelque chose d’autre, un trait discret du caractère de Dienekès que la cité reconnaissait instinctivement et honorait implicitement. Polynice le voyait à la manière dont les garçons et les filles plaisantaient avec Dienekès quand il traversait leurs terrains de jeu à la balle, les sphairopaedia, durant la pause de midi ; il le voyait également à l’ébauche de sourire de la matrone suivie de ses servantes à la fontaine ou de la vieille femme qui traversait la place. Même les hilotes accordaient à Dienekès une affection et un respect qu’ils refusaient à Polynice, en dépit de tous les honneurs dont celui-ci était comblé. Cela l’agaçait et l’étonnait. Il avait engendré deux garçons, déjà des gaillards qui seraient un jour des guerriers, alors que tous les enfants de Dienekès étaient des filles avec lesquelles sa lignée s’éteindrait, à moins qu’Aretê ne mît enfin au monde un garçon. Que Dienekès s’attirât sans effort le respect de la cité, et avec cette finesse dans l’effacement, le contrariait encore plus.
Pour Polynice, Dienekès n’était ni beau ni coureur émérite, mais il possédait une maîtrise de soi que le jeune homme ne comptait pas parmi ses dons. Le courage de Polynice était celui d’un lion ou d’un aigle, inné et spontané, qui le dominait de façon instinctive. Le courage de Dienekès était différent ; c’était la qualité d’un mortel vulnérable qui tirait sa force de la connaissance de son cœur, grâce à une honnêteté inconnue de Polynice.
Était-ce pour cela qu’il détestait Alexandros ? Était-ce la raison pour laquelle il lui avait cassé le nez ? Mais là, Polynice voulait casser plus que la figure du garçon : il voulait le voir s’effondrer.
— Tu as l’air triste, garçon. Comme si la perspective de la bataille ne te donnait pas de joie.
Polynice ordonna à Alexandros d’énumérer les plaisirs de la guerre, et l’autre les récita par cœur : la satisfaction des épreuves partagées, la victoire sur l’adversité, la camaraderie et l’amour des compagnons d’armes, la philadelphia.
Polynice fronça les sourcils.
— Tu éprouves du plaisir quand tu chantes, garçon ?
— Oui, seigneur.
— Et quand tu flirtes avec cette traînée d’Agathe ?
— Oui, seigneur.
— Alors imagine le plaisir qui t’attend quand tu te heurtes bouclier contre bouclier dans la bataille, contre un ennemi qui brûle de te tuer et que tu tues à la place. Peux-tu imaginer l’extase, petit merdeux ?
— J’essaie, seigneur.
— Laisse-moi t’aider. Ferme les yeux et imagine. Obéis-moi.
Polynice était tout à fait conscient de la contrariété que cette séance causait à Dienekès, qui se tenait à deux pas de là.
— Plonger une lance jusqu’à la garde dans les entrailles d’un homme, c’est comme baiser, mais en mieux. Tu aimes baiser, n’est-ce pas ?
— Je ne sais pas, seigneur.
— Ne ruse pas avec moi, espèce de moineau.
Alexandros se tenait depuis près d’une heure ; il se galvanisa pour répondre à son tortionnaire, les
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