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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Ogier : glisser vers ce trou de terre qui est bien le meilleur des lits, puisqu’on y dort éternellement.
     
    *
     
    Torches mouvantes, tressautantes ou fixes ; brasiers de forges, foyers au-dessus desquels, sur de grandes hastes [14] , rôtissaient des quartiers de viandes ; des centaines de feux grignotaient les ténèbres ; la rivière les dédoublait ainsi que les lourds fantômes des machines de guerre installées de loin en loin, à bonne distance de l’enceinte. Les puissantes membrures de certaines n’étaient qu’incomplètement assemblées ; les charpentiers et leurs aides chevillaient à coups de maillet, enroulaient et liaient les cordes de renforcement, équarissaient à l’herminette et hurlaient quand le merrain [15] tenu à bout de bras ou hissé par des treuils tardait à monter jusqu’à eux. Trois ou quatre chantaient, d’autres riaient ; des clameurs s’élevaient au passage des ingénieurs et des capitaines. Ogier connaissait cette bonne humeur-là ; il en frémit.
    — Ces démons, chuchota-t-il, ont amené leur artillerie démontée dans tous les chariots abandonnés sur cette rive, puis sans mal, j’en jurerais, ils ont franchi le Clain par les ponts [16]  ! Si quelques Poitevins leur avaient résisté… Si ce maudit bois avait été jeté à l’eau…
    Il remua pour échapper à la morsure d’une pierre sur son ventre et reprit son aguet entre ses compagnons étendus eux aussi dans l’ombre d’un bouquet d’aulnes.
    — Des milliers ! grommela Joubert en le touchant du coude. Ils ont tout : munitions de bouche et de guerre… Tout se trouve sur la rive où nous sommes…
    Certains groupes mangeaient ; d’autres, en processions confuses, portaient à pied d’œuvre des pierres pour les balistes. Les plus lourdes étaient amenées sur des claies. Pareilles à de grosses bêtes s’abreuvant en nageant, certaines bacques chargées de rochers plongeaient leur proue dans les eaux pailletées d’or et de pourpre.
    — Le Clain lui-même les aide : en voguant dessus, ils ménagent leurs forces !
    — Nous avons presque fait le tour de la cité, dit Tinchebraye, et rien vu, rien trouvé qui puisse nous aider.
    — Nous ne pouvons noer : ils nous verraient… Et les ponts sont gardés !
    Ogier reprit haleine. Son désespoir augmentait à chaque souffle, jusqu’à prendre la pesanteur de ces quartiers de rocher que des Goddons, là-bas, roulaient à plusieurs et dont ils entouraient un de leurs mangonneaux. De nouveau Thierry lui manquait ; il était toujours de bon conseil et sa foi, son courage aussi durs qu’une enclume.
    — Continuons de contourner la cité sans nous en approcher davantage. Il se peut qu’en un lieu ces démons soient moins nombreux.
    Ils avancèrent par bonds, le dos courbé, s’attendant de loin en loin. Des roncières, des granges ruinées depuis un jour ou deux, des replis de terrain les préservaient des regards. Parfois, ils contournaient un chariot, quelques coffres ouverts sur des soies, des vaisselles, des châsses, des ciboires et des armes de prix. Le désespoir d’Ogier s’aggravait. Les envahisseurs semblaient agglutinés au-delà du Clain et leurs connétablies de réserve s’étaient arrêtées dans les îles : leurs feux fleurissaient les buissons et jusqu’au faîte des grands arbres.
    — Prends garde, Tinchebraye, à ton épée : voilà deux fois que tu la fais tinter…
    Il s’énervait ; il imaginait les mantelets de bois, de cuir et d’osier approchés si près de l’enceinte que les malandrins qu’ils abritaient eussent pu en compter les pierres ; il entrevit des échelles allongées sur le sol, prêtes à l’emploi mais peut-être inutiles, du moins en cet endroit : sur le plateau qui en surélevait les murs de quelques toises, toute échelade paraissait impossible… « Impossible ? Tu sais pourtant, pauvre fol, que rien ne résiste bien longtemps aux Anglais. » Il murmura :
    — Voyez, compagnons, ces cinq ou six barils, à dextre… Mussons-nous et catissons-nous [17] derrière…
    Comme des assaillants contournaient ces tonneaux, les trois compères eurent tout loisir de les observer : ossature épaisse, bras bourrelés de muscles, cuisses d’hommes-singes, chacun d’eux alliait la souplesse à la puissance. Certains, sur leur cuirie, portaient un collier de dents d’animal, des anneaux de cuivre encerclaient leurs poignets ; ils étaient tête nue, les uns les cheveux ras, les

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